Portraits 4 minutes 06 avril 2021

95 ans pour le Comme chez Soi

Une institution. Une grande dame. Ce sont des superlatifs qui sont souvent utilisés pour décrire le Comme chez Soi. La famille Rigolet a parfois du mal avec ça. Le restaurant aux deux étoiles MICHELIN fête son 95e anniversaire, mais aborde les défis de l'avenir avec beaucoup de conviction.

Commençons par une leçon d'histoire culinaire belge. Chez Georges, ouvert en 1926, a déménagé vers la place Rouppe dix ans plus tard, sous le nom Comme chez Soi. S'ensuivent des années d'opulence gastronomique, récompensées depuis 1953 par au moins une étoile MICHELIN. Aujourd'hui, la quatrième génération est à la barre, et la cinquième est déjà en place. Loïc Rigolet s'apprête à poursuivre cette histoire unique.

« Après mes études secondaires, j'ai étudié pendant deux ans à l'école hôtelière Ter Duinen de Coxyde : une année de cuisinier et une en sommellerie » raconte Loïc, 23 ans. « J'ai travaillé ici au restaurant, j'ai fait un apprentissage de sommelier à l'Auberge de l'Ill en France et j'ai récemment rejoint mon père en tant que chef pâtissier. Je dois encore découvrir par moi-même ce que je vais faire plus tard. J'essaie de me trouver. J’ai la chance d’avoir de nombreuses possibilités ici, chez nous. »

Aujourd'hui, Loïc, avec son père Lionel et un chef cuisinier, s'occupe de la vente à emporter chaque semaine. Il réfléchit avec ses parents, et détermine la direction que prendra le restaurant. Comme chez Soi est situé dans un quartier qui est aujourd'hui en transition. Dans les années à venir, les travaux d'extension du réseau de métro entraîneront de nombreux désagréments. Le passage à des moyens de mobilité plus doux pose des défis à la famille Rigolet.

« La grande question pour nous est de savoir comment notre personnel va continuer à se garer ici » déclare Laurence, l’hôtesse des lieux. « Le stationnement est payant partout. Voyager en transports publics n'est pas une option pour tout le monde, surtout si vous terminez à minuit. Je pense faire appel aux entreprises pour utiliser leurs places de parking vacantes. Beaucoup de convives viennent en Uber, c'est déjà quelque chose. Mais à cause des changements de mobilité, nous perdons certains de nos clients. Nous ne travaillons pas beaucoup avec un public local. Je dois dire que le quartier de la place Rouppe connaît une évolution positive. C'est une bonne chose. Mais les gens trouvent toujours plus facilement leur chemin vers le Sablon. Même si ce n'est qu'à deux minutes d'ici. »

 ©Jean-Jacques De Neyer
©Jean-Jacques De Neyer

Se débarrasser d'une fausse image
Les préjugés sont un défi que Comme chez Soi doit relever. Les superlatifs dont nous avons parlé précédemment jouent aussi parfois en leur défaveur. « Avec nos plats à emporter, nous atteignons des gens qui ne sont jamais venus manger ici. Certains sont même devenus des habitués. Ils ne peuvent pas expliquer pourquoi ils ne sont jamais venus manger avant. Cela m'inquiète. Y a-t-il un obstacle à venir manger ici ? Est-ce que le Comme chez Soi a une étiquette de vieux restaurant poussiéreux ? Je ne comprends pas ce qui les dissuade. »

La famille Rigolet fait tout ce qu'elle peut pour se débarrasser de cette mauvaise image. Ils ont même créé un nouveau concept dans leur cave à vin : Riwyne. Un lieu où 8 à 12 personnes réunies autour d'une table peuvent déguster des classiques régionaux, accompagnés de musique choisie par elles. En coulisses, ils travaillent également dur pour préparer l'avenir, avec, par exemple, une attention particulière à la durabilité.

« Nous travaillons par exemple avec le comité de quartier sur un projet de tri des déchets et de collecte des déchets à vélo » explique le chef Lionel. « C'est également à nous de faire comprendre à notre équipe l'importance de la durabilité. C'est un réflexe qu'il faut cultiver. Ce qui est bien dans ce métier, c'est que chaque jour est différent et qu'on n'arrête jamais d’apprendre. »

« En tant que chef, je regrette parfois d'être au centre de la ville. Si vous regardez le potager de Sang-Hoon (de L'Air du Temps, ndlr) ... Je suis content de travailler avec Urbi Leaf pour nos micro-pousses, mais beaucoup de petits maraîchers ne se rendent pas dans le centre de Bruxelles. »

 ©Jean-Jacques De Neyer
©Jean-Jacques De Neyer

Équilibre entre classique et moderne
Lionel Rigolet est connu comme un chef de produits et de sauce. Un héritage de son beau-père, dit-il. Un héritage qu'il assume mieux aujourd'hui. Depuis qu'il a repris la cuisine de Pierre Wynants en 2007, il a grandi et a vraiment trouvé son chemin. « Pendant la période de reprise, j'étais assez nerveux et cela s'est vu dans l'équipe. C'est pourquoi j'ai commencé à faire du coaching d'entreprise. Depuis, je suis très différent avec mon équipe. J'obtiens un bien meilleur retour. Je suis curieux de savoir comment les choses se passeront lorsque nous rouvrirons, après que de nombreux employés de la restauration seront restés chez eux pendant six mois... »

« Au Comme chez Soi, vous avez le choix entre les plats classiques à la carte de mon beau-père et le menu qui porte mon identité. Dans le passé, j'ai voulu retirer ces classiques parce que ce n'est pas ma cuisine. Mais beaucoup de gens viennent pour cela, un plat comme la sole à la sauce riesling reste une carte de visite de la maison. Je suis plus mature en tant que chef aujourd'hui. J'ai trouvé ma propre cuisine. Une cuisine classique évolutive. Selon mon beau-père, j'ai ajouté à sa cuisine le souci d'une belle présentation. »

En cuisine, une équipe de onze personnes maintient un rythme soutenu. Il ne peut y avoir plus de vingt minutes entre chaque plat et le chef Rigolet insiste pour offrir du choix. « On reconnaît un bon chef à la façon dont il dirige sa brigade, avec une carte » dit-il. Et il ne s'en écarte pas. Mais sa façon de travailler, elle a changé ces dernières années.

 ©Jean-Jacques De Neyer
©Jean-Jacques De Neyer

« Je teste un nouveau plat avec Daniel et Andy, mes sous-chefs, puis je passe à Loïc et Laurence avant de faire appel au maître d'hôtel et au sommelier. On réfléchit aux plats, on pense aux associations de vins, etc. Nous n'avions pas l'habitude de faire tout ça dans le passé. Lorsque j'ai fait construire notre nouvelle cuisine il y a quinze ans, j'ai fait installer un Alto-Shaam (tiroir chauffant, ndlr.). Il a servi comme étagère pendant huit ans. Je ne savais pas comment l’utiliser. C'est en discutant avec mon ami Pierre Résimont (chef de L'Eau Vive, ndlr) que j'ai commencé à travailler avec. J'ai évolué. Je fais également du sport trois à quatre fois par semaine. Quand j'étais toujours dans ma cuisine, j'avais moins d'idées et moins de concentration. Je deviens encore plus créatif lorsque je peux m'échapper dans mon sport pendant un moment. »

Contrairement au passé, Lionel Rigolet quitte parfois sa cuisine. Les relations publiques sont très importantes aujourd'hui, il s’en rend compte. Il veut montrer que le Comme chez Soi est tout sauf une entreprise poussiéreuse et qu'il est prêt pour les 95 années à venir. « Ce restaurant reste une institution, mais il évolue avec son temps. Nous avons des projets de travaux de rénovation et avec Loïc, nous voulons continuer à dynamiser le restaurant. On verra quand on rouvrira. Je n'ose pas coller une date dessus. Mais nous continuerons certainement à proposer des plats à emporter dans un premier temps. Il y aura des clients qui n'oseront pas aller dans un restaurant. Mais je serai heureux de ressentir à nouveau l'adrénaline du service ! »

Le mot de la fin revient à Laurence, qui, comme pour beaucoup de choses, a des sentiments mitigés sur la relation entre le passé et l'avenir. « La différence avec l'époque de mes parents, c'est qu'on gagnait plus dans la gastronomie qu'avec des spaghettis ou des pizzas. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Il faut être incroyablement passionné pour investir dans une entreprise gastronomique. Mais ne vous inquiétez pas : nous tenons à montrer à tous que le Comme chez Soi est une entreprise dynamique. Et le restera ! »


Photo Laurence et Lionel Rigolet ©Jean-Jacques De Neyer

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