La place des thés verts japonais dans l’univers d’Alexandre Mazzia
Alexandre Mazzia est un travailleur acharné, joyeux, attentionné avec son équipe, tel un capitaine gardant constamment le cap. À croire que les thés japonais galvanisent celui qui compose et mémorise chaque jour dans sa tête une véritable bibliothèque de saveurs alimentaires, basée sur les produits d'ici ou d'ailleurs.
Tous les matins, le chef Alexandre Mazzia se répète « qu’il n'y a pas de limites dans la connaissance ». Insatiable de curiosité, il a découvert les thés verts japonais en cuisinant pendant huit mois à Osaka et à Kyoto pour un couple franco-anglais très habitué aux coutumes nippones. Il l'avoue, le Genmaicha est son préféré car grillé, toasté, des notes dont il raffole. Cet amoureux des contrastes et des alliances entre végétal, herbacé, sucré, acidité, épicé, fumé ou brûlé, cherche sans cesse les meilleurs accords dans une cuisine aux faibles dimensions, ouverte sur une salle de 22 ou 24 couverts maximum.
Car depuis qu'il a ouvert à Marseille sa propre antenne gastronomique, il s'acharne à composer, non pas une carte, mais un véritable menu organique et créatif à nul autre pareil, qui évolue au gré de son humeur, jouant avec la torréfaction, la fumaison et l'induction. Le client n'a plus qu'à se laisser guider par trois, cinq ou sept séquences, chacune auréolée de plusieurs satellites de créations.
Alexandre Mazzia connaît plus que d'autres l'importance du contenant, si cher à l'esthétique japonaise. Le voilà qui insiste : « Le support est essentiel car il donne du relief à mes créations ». C’est Kevin Bardau, le chef sommelier, qui veille sur les bols, rangés dans de larges tiroirs, et qui font partie des 600 pièces accumulées depuis l'ouverture du restaurant. Des bols qui pour certains sont réservés aux trois thés verts japonais qu'il propose tout au long du repas - et bien sûr pas un ne ressemble à un autre. Le type de thé est choisi en amont en fonction de la séquence préparée par le chef. « Sur l'ensemble des thés, je pense qu'il est important de dialoguer, l'un renvoyant à l'autre », constate Alexandre Mazzia, bien conscient que le client trouve lui-même les subtiles notes du plat et du thé, accordées entre elles. « Généralement, le client goûte toujours le thé avant d'attaquer le plat », renchérit-il. Ainsi, les arômes du thé tapissent le palais pour mieux réceptionner chaque aliment du plat, chaque accord entre le poisson, le jus, les légumes et les épices. « Le thé permet de garder le contrôle sur l'expérience culinaire et se dire que finalement il nous reste un souvenir clair, palpable... On n'est pas dans un enivrement où parce qu'a après avoir bu un peu trop de vin, on rate beaucoup de détails. Avec le thé, on a davantage d'écoute de la part du client. Notre travail en profondeur est alors plus apprécié », reconnaît Alexandre Mazzia.
Les thés biologiques de la maison Luciole
Les thés verts que sélectionne le comptoir Luciole à Marseille, réputé pour être très rigoureux dans le choix des ustensiles et des produits manufacturés, sont originaires de Shizuoka (île de Honshû). Précision des responsables : « Nous collaborons avec un petit récoltant, l'ensemble de nos thés verts japonais sont garantis sans pesticides Ce sont des chèvres à têtes noires qui se régalent à désherber. » Ainsi chaque thé, choisi en collaboration avec l'équipe d'Alexandre Mazzia, est d'origine biologique, « gage d'une fraîcheur inégalée et reçu sous-vide. » Il faut dire que les feuilles de thé qui sont récoltées sont aussitôt séchées à la vapeur afin d'arrêter le processus d'oxydation. « Cette étape cruciale permet de préserver tous les arômes frais et printaniers de la feuille ».
L’intégration des thés verts japonais chez AM
Premier thé servi, un Sencha Saemidori, récolté à la mi-avril à Uji, réputé pour sa belle couleur verte bleutée après infusion, préparé à une température de 70° pendant 1 mn 30. « On a choisi une théière en verre pour chaque thé », explique Kevin Bardau, « pour révéler la couleur et les saveurs mais aussi en adéquation avec notre identité, jouant sur la transparence et l'esthétique. » Ce thé végétal, au goût subtilement iodé, développe une sensation d'umami très caractérisée en bouche, donnant de la fluidité et des notes rafraîchissantes qui s'accordent avec la « séquence apéritive » à dominante marine : œufs de truite et saumon sauvage marinés au saké et lait fumé, notamment.
Le second thé vert japonais servi est un Bancha Hojicha aux notes bien grillées qui apportent de la vitalité à l'organisme. Pas étonnant que le chef l'accompagne avec son assiette composée de la trilogie moules, maquereau hareng, assortis de noix de coco, condiment de mojito à l'estragon et jus vert, subtilement herbacée (roquette diplotaxis sauvage légèrement piquante), chair d'araignée de mer, semoule à la fleur d'oranger, suc de carapace, raifort. « Un plat relevé, mais il est aussi important d'avoir quelque chose de léger qui puisse être assez herbacé - pour que cela contraste avec le thé - lequel se marie bien avec les produits marins », commente Alexandre Mazzia.
Enfin, quid du Matcha ? Titulaire d'un brevet de pâtisserie, Alexandre Mazzia, même s'il a recruté un pâtissier de talent dans son équipe, Alessandro Moretto, 28 ans (né près de Padoue, au nord de l'Italie), a choisi d'exalter le Matcha japonais, thé vert en poudre qu'il aime travailler comme une épice. Il en fait son dessert vedette appelé simplement : Glace confiture de lait et thé vert matcha. « On utilise plusieurs matcha avant de le tamiser pour obtenir le grain souhaité par rapport à la confiture de lait », précise-t-il. « On se pose alors des questions : comment le thé va réagir au froid, est-ce qu'il ne va devenir trop collant, à un moment est-ce que nous n'aurons pas une texture trop sablée ? Il faut quand même qu'il reste doux, et qu'il matche bien - c'est le cas de le dire -, avec la confiture de lait., pour qu'on obtienne cette texture presque caramel qui s'étire un peu. »
Alexandre Mazzia a essayé plusieurs laits pour réussir la parfaite confiture : entier, écrémé, lait de soja, à base de riz aussi. Verdict : « C'est important de voir la réaction du matcha dans ces différentes versions et aussi car la couleur varie en fonction de la température ». Finalement, le chef utilise du lait entier mélangé à du lait concentré sucré. L'effet est réussi, l'ensemble est visuellement attrayant quand on observe ces billes vertes déposées dans de petites cuillères en laiton qui font penser à des tiges, des filaments, des sarments... Il faut que ces « cuillers » soient servies à bonne température, c'est-à-dire, ambiante, pour qu'une fois en bouche, la coordination du matcha et de la confiture de lait opère sous le palais. On déguste alors cet entremets « comme un bonbon », comme le dit le chef d'un sourire gourmand... Un bonbon fondant à souhait dans la bouche. Bien sûr, le parti-pris du chef marseillais de travailler ici le matcha japonais comme une épice n’occulte en rien le pouvoir d’attraction du matcha en tant que boisson.
AM, restaurant auréolé par la critique et adoubé par les gastronomes, est définitivement l’endroit idéal pour une initiation en douceur aux thés verts japonais, sous la houlette d’un chef expert et passionné, Alexandre Mazzia.
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Hero Image : Alexandre Mazzia / Photo : Florian Domergue