Portraits 3 minutes 02 avril 2020

Du beurre, de la crème et de la générosité bretonne

Le Grand-Duché de Luxembourg a perdu son Bocuse. Pierrick Guillou est décédé à Noël et laisse un grand vide. Sa cuisine authentique était un modèle de richesse traditionnelle. Lysiane et Katell, son épouse et sa fille, regardent en arrière avec un sourire et une larme.

« Mon père a été un précurseur dans de nombreux domaines », déclare Katell Guillou. « Il a fallu beaucoup de courage pour quitter son restaurant deux étoiles Michelin à Luxembourg-Ville et rouvrir douze kilomètres plus loin avec un restaurant plus simple. Il faut du culot pour faire cela. Récemment, j'ai vu un des plats qu'il préparait au Saint-Michel : la trilogie asiatique. Aujourd'hui, de nombreux chefs utilisent des saveurs exotiques, mais en son temps ? C'était tout sauf ordinaire. »

Le déménagement vers Schouweiler n'était pas vraiment surprenant. Guillou a grandi au bord de la mer en Bretagne. Son père était commissaire de police, mais il aimait cuisiner et encourageait son fils à travailler dans cette industrie. « À l'âge de quatorze ans, Pierrick a commencé à travailler dans une boulangerie », explique Lysiane Guillou. « Il partait à cinq heures du matin, à vélo, pour aller travailler. Je ne vois pas mes petits-enfants le faire. »
« Pierrick était autodidacte. Il a travaillé dans plusieurs restaurants gastronomiques en Bretagne avant de partir en Belgique. C'était en 1971, après notre mariage. J'ai abandonné ma formation d’enseignant pour le suivre. Nous avons trouvé deux annonces : gérer un hôtel en Belgique ou un hôtel à New York. Je trouvais New York trop loin, alors nous avons choisi l’hôtel Lebrun à Bastogne. »

Le chef Guillaume Rotario, Lysiane Guillou et Katell Guillou ©Michelin
Le chef Guillaume Rotario, Lysiane Guillou et Katell Guillou ©Michelin

L'hôtel a prospéré pendant cette période grâce au tourisme de guerre. Des cars avec des touristes américains s'y arrêtaient tous les jours. Le couple Guillou y a vraiment appris le métier et s'est constitué une clientèle luxembourgeoise qui s’est vite alignée au Saint-Michel, le restaurant qu'ils ont ouvert à Luxembourg-ville en 1976.
« Deux ans plus tard, nous avons reçu notre première étoile Michelin, et notre deuxième en 1981. C'était toujours plein. Un après-midi où tout le monde prenait le menu dégustation n'était pas une exception. Tout le monde, hein ! Et ils ne se contentaient pas de boire de l'eau. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de restaurants gastronomiques à Luxembourg-Ville. Il y avait donc de la place pour un Breton. Nous avons commencé avec des plats de fruits de mer et divers préparations de poisson. Cette signature bretonne est toujours restée en nous. »


Soupe et saucisse
Malgré ce grand succès, la famille a décidé de déménager à Schouweiler. Un endroit plus calme et vert. Ils ont acheté une maison privée, qu’ils ont transformée en restaurant. Le chef Pierrick s’y amusait beaucoup dans son poulailler et son pigeonnier. Il voulait cuisiner plus simplement, plus naturellement et plus ‘ bourgeois ‘. Mais les clients ont changé cela. « Pouvez-vous refaire cette préparation ? Un plat au homard ? Ils nous ont fait s’éloigner de notre nouvelle direction. Nous avons laissé tomber la saucisse et la soupe pour refaire notre cuisine d’avant. »

“Mon mari était très généreux. Vous ne deviez pas lui demander de calculer la quantité de beurre à mettre dans un plat.”

La Table des Guilloux, le nom du nouveau restaurant, a de nouveau été récompensée par deux étoiles Michelin en quelques années. Leur deuxième restaurant, Toit pour Toi, a ensuite reçu une étoile Michelin. Le secret du chef ? Selon sa fille Katell, c'était son authenticité. Lysiane n'oubliera jamais sa connaissance des saveurs.
« Il avait la capacité de savoir préparer quelque chose simplement en le goûtant. Beaucoup de gens ont décrit sa cuisine comme une cuisine de goût. Il aimait la sauce et les fonds. Quand il utilisait des coquillages, il ne jetait rien. Il gardait tout le jus. »
« Mon mari était très généreux. Vous ne deviez pas lui demander de calculer la quantité de beurre à mettre dans un plat. ‘ Tu ne vas pas m'embêter, je fais ce que je veux’, aurait-il dit (rires). Il cuisinait selon son feeling, très instinctivement. Celui qui cuisinait avec lui devait comprendre rapidement. »


Guillou était un homme qui aimait manger. Cela lui a causé des problèmes de santé. En 2004, il a dû subir une greffe du foie, ce qui lui a heureusement donné la chance d’une seconde vie. Mais cela n'a pas changé son caractère. « Il était têtu. Un vraie Breton. Mais Pierrick avait un bon cœur. Et il était très honnête. Il ne pouvait pas mentir. Il a toujours été direct. C'était une qualité, mais parfois aussi un défaut. »

©Katell Guillou
©Katell Guillou

Apprendre à manger
La perte de Pierrick Guillou a été un coup dur pour le restaurant. Son épouse et sa fille vivent toujours une période difficile. Mais l’équipe et les clients de leur restaurant familial, Guillou Campagne, sont très proches. Ensemble, ils surmonteront ces moments pénibles. « Pierrick a gâté de nombreuses personnes. Beaucoup d'amis me disent toujours qu'il leur a appris à manger et qu'ils ont du mal à retrouver ses saveurs. Ça me touche. Queue de bœuf farcie au foie gras et son consommé monté au beurre, Saint-Jacques à la bretonne ou fondue de saumon : nos clients n'en ont jamais assez. »
« Mon fils Erwan travaille à La Gaichel aujourd’hui. Il est marié à Céline, dont les parents sont les propriétaires. Il a une cuisine semblable à celle de nos débuts, basée sur le poisson et les fruits de mer. Ses garçons ont huit, dix et douze ans. Ce serait bien si un ou deux d'entre eux continuaient ce que nous avions commencé il y a si longtemps. »

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