Portraits 3 minutes 17 juin 2021

Pourquoi la cuisine à la bière reste-t-elle une niche ?

La Belgique, c’est pour de nombreuses personnes le pays du chocolat et de la bière. Mais les restaurants MICHELIN qui cuisinent à la bière sont extrêmement rares. Stefaan Couttenye, chef du restaurant Gasthof ‘t Hommelhof, distingué d’un Bib Gourmand, et pour qui cuisiner à la bière est une réelle passion, explique pourquoi.

Le Gasthof 't Hommelhof peut facilement être décrit comme Le restaurant à bière de Belgique. Stefaan Couttenye a commencé, en 1984, avec de grandes aspirations gastronomiques, mais il s'est rapidement tourné vers une cuisine traditionnelle axée sur la bière. « Je venais de Sir Anthony Van Dijck (ancien restaurant 2 étoiles, ndlr.) et j'étais très ambitieux au départ. Mais à Watou, il n'y avait pas de public pour la haute gastronomie que j'avais en tête. C'est pourquoi je me suis tourné vers une cuisine abordable qui attire également les touristes. Mais je ne voulais pas devenir juste un autre restaurant de moules. Ça devait rester mon restaurant. Je suis situé dans la région du houblon et j'étais depuis des années un fidèle amateur de bières régionales. J'ai donc commencé à expérimenter avec de la bière, et ça a bien fonctionné. »

« J'ai alors fait un pas de plus : pourquoi ne pas être plus chauviniste et proposer de bonnes bières belges au lieu de vins français ? Servir de la bière au restaurant ne se faisait pas. La bière était pour les cafés. Je recevais beaucoup de soutien, mais ce n'était pas facile. Je faisais cavalier seul en Belgique. Cuisiner avec de la bière ne se faisait que dans la cuisine de grand-mère. Et le beerpairing ? Il n'en était pas question du tout. »

Nous parlons ici d'une époque où les brasseries dépendaient principalement des ventes dans les cafés. Selon Couttenye, ils étaient réticents à soutenir les restaurants. Mais cela a changé quand ils ont remarqué que les gens se rendaient de moins en moins au café. Le concept du beerpairing semblait avoir le vent en poupe il y a quelques années, mais ça n'a pas décollé. « Sergio Herman m'a rendu une fois visite avec son équipe pour une dégustation de bière. C'était pendant la dernière année d'Oud Sluis. Il voulait proposer des bières adaptées au menu. Aujourd'hui, on voit d'autres grands chefs, comme Peter Goossens, ajouter la bière à leur menu, même si c'est plutôt avec du fromage. Mais tout s’est un peu calmé, oui. Et quand un restaurant propose des bières, ce ne sont pas toujours les bonnes... »

« Il faut savoir aussi qu'on ne peut pas vendre de la bière avec les marges du vin. Les gens connaissent trop bien le prix de la bière. Et c’est un fait que la bière a toujours l'image d'un produit destiné à monsieur tout le monde. Elle est encore trop associée aux cafés. Bien que cela change doucement. Je le remarque. »

©Els Dejonckheere
©Els Dejonckheere

Carte chauviniste des bières
Si la bière a un ambassadeur, c'est bien Stefaan Couttenye. Il a des années d'expérience dans la cuisine à bière. Une cuisine qui l’a confronté à pas mal de défis. « On a toujours le problème que l'amertume de la bière ressort. On ne peut pas en utiliser trop. Il doit y avoir un équilibre, le goût de la bière ne doit pas dominer. Je recommande toujours de boire la même bière avec laquelle le plat a été préparé. Pour faire le lien. Nous avons toujours des invités qui boivent du vin, la bière de votre plat ne peut donc pas dominer. Et si la sauce est trop amère, ajouter du beurre pour l'adoucir est une bonne astuce. »

« L'avantage de la bière est, je pense, que vous avez une palette de saveurs complètement différente. Si je compare, de manière simpliste, avec le vin, vous ne pouvez choisir qu'entre le rouge et le blanc. Que vous preniez un vin de table ou un Sancerre, cela ne va pas vraiment influencer le goût de votre sauce. C'est différent avec la bière. Il existe des bières épicées, des bières amères, des bières fruitées, des bières acides, etc. Nous travaillons également avec des préparations classiques comme des fonds et des fumets, mais c'est la bière qui apporte la dimension supplémentaire. »

“Les jets de houblon avec un œuf poché et une sauce mousseline ou les asperges à la flamande : il ne faut pas y toucher.”

Au Gasthof 't Hommelhof, ne vous attendez pas à une carte des bières très large ou à une gamme de bières 0.0 (bien que le chef se les procure si vous le demandez à l'avance). Vous n'y trouverez pas les bières typiques dont raffolent de nombreux touristes, mais plutôt une sélection régionale et des classiques comme la gueuze de 3 Fonteinen et Boon. C'est sur la même lignée que la cuisine, qui ne regarde pas trop au-delà des frontières. « Je dis toujours : si la France était un pays de bière au lieu d'un pays de vin, tout le monde boirait de la bière à table. Nous avons le droit d'être un peu chauviniste après tout. »

« Je n'ai pas spécifiquement de bière préférée. Ça dépend de la saison. Le homard braisé dans la bière blanche de Bernardus, aux fines herbes, est un succès. Bien sûr, la saison des jets de houblon est une saison de pointe ici. Les gens viennent de partout dans le monde. Eh bien, ces jets de houblon ont un goût très doux et fragile. Ils doivent être accompagnés d'une bière blanche ou d'une gueuze plus douce. Pas trop d'acidité. Les asperges peuvent être servies avec une bière plus amère, comme la Hommelbier. Et, bien sûr, la bière brune est plus facile à combiner avec les plats de gibier. Mais tous nos plats ne sont pas cuisinés avec de la bière. Les jets de houblon avec un œuf poché et une sauce mousseline ou les asperges à la flamande : il ne faut pas y toucher. »

©Els Dejonckheere
©Els Dejonckheere

Bières gastronomiques
Stefaan Couttenye aura bientôt 61 ans, mais cela ne signifie pas qu'il est resté les bras croisés pendant le confinement. Bien qu'il ait un problème à l’épaule, il a ouvert un nouveau concept à Ostende avec sa copine : Watou@sea. « Il s'agit d'un traiteur sur le modèle de 't Hommelhof, même si tous les plats ne sont pas cuisinés avec de la bière. Nous y travaillons beaucoup avec des produits locaux, des vins de la région du Heuvelland, etc. Apparemment, il y avait un certain besoin, car l'entreprise fonctionne à toute vapeur. »

« Nous restons ouverts jusqu'à la fin de notre contrat pop-up et avons l'ambition de le prolonger. Bien que nous devions d'abord voir l'impact de la réouverture du restaurant. »

Et puis un dernier regard vers l'avenir. La baisse de la fréquentation des cafés et la popularité croissante des bières spéciales incitent les brasseurs à lancer des bières gastronomiques. Pensez par exemple à Fourchette de la brasserie Van Steenberge. La cuisine à la bière a-t-elle finalement un bel avenir devant elle ? « Elle continuera à vivre. Mais cela reste une question difficile. Les jeunes chefs et les restaurants gastronomiques l'utiliseront. Mais est-ce que quelqu'un comme moi va l'utiliser tout le temps ? Je pense que la cuisine à la bière restera une exception. »


Illustration ©Els Dejonckheere

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