Portraits 3 minutes 23 juin 2021

La Brasserie Ploegmans garde le vieux Bruxelles en mémoire

Le paysage de la restauration à Bruxelles évolue rapidement. Les établissements ‘fast casual’ prennent la place des restaurants autrefois bien établis. La restauration rapide est désormais monnaie courante dans la capitale. Heureusement, il existe encore des endroits comme la Brasserie Ploegmans, où le temps semble s'arrêter et où vous pouvez encore (re)découvrir la cuisine bruxelloise.

1927. Voilà l'année de naissance du ‘Ploegmans’. C’était l’un des nombreux cafés typiques du quartier populaire des Marolles. Un lieu où les Bruxellois venaient commander une bière et un pot de kipkap dans le dialecte propre au quartier. « Ploegmans était un café où, comme dans tout le quartier, on trouvait la corde autour du bar » raconte Ali Tahiraj, l'un des trois propriétaires. « Quand les gens étaient pirre (saouls, ndlr), ils pouvaient s'y accrocher pour pouvoir encore boire des pots. C'était quelque chose de typiquement bruxellois. »

« On y trouvait, bien sûr, aussi le Zoegeman : un objet en forme de grosse oreille, que le patron venait poser à côté de vous quand vous vous plaigniez trop. Il le faisait bouger, et quand le Zoegeman s'arrêtait, il fallait être parti. Ou il te jetterait dehors ! Génial, n'est-ce pas (rires). »

Ploegmans est resté un café jusqu'en 2005, pour se transformer en Brasserie Ploegmans en 2006. Le patron Ali a quarante ans d'expérience dans l’Horeca bruxellois et connaît, tout comme ses partenaires, les ficelles du métier. Ils prennent un réel plaisir à servir leurs clients et à les ramener au Bruxelles d'antan. « Les chaises et les tables, le bar... Ils sont presque tous authentiques. De 1927 ! Bien sûr, ici et là, ils ont été remis à neuf. Nous avons aussi le Faro de Timmermans en fût. Le dernier à Bruxelles ! Les gens viennent ici pour ressentir ce sentiment de nostalgie et c'est formidable de les voir repartir avec le sourire. Nous nous identifions vraiment au quartier. Quand j'en parle, j'ai déjà du kiekebich (chair de poule, ndlr.). »

Patron Ali Tahiraj
Patron Ali Tahiraj

Un décor nostalgique ne suffit naturellement pas à attirer les foules. La Brasserie Ploegmans met également en valeur des plats qu’on retrouve encore peu à Bruxelles. Scampis à la gueuze, des carbonades avec du faro et des frites, des rognons à la sauce moutarde,... Des préparations réconfortantes qui prouvent à chaque fois pourquoi elles sont devenues des classiques. « Nous essayons de faire vivre la vieille cuisine bruxello-belge. Une cuisine qui n'est pas sophistiquée, mais qui demande beaucoup de préparation. Nous transformons les produits et cela prend du temps. Nettoyer des rognons est quelque chose que l'on fait méticuleusement. Si vous endommagez la membrane, ils sèchent dans la poêle. Et ici, les sauces ne sortent pas d'un bocal, mais sont toutes faites maison. »

« Nous travaillons à l’ancienne. Lorsque nous faisons des carbonnades ou du vol-au-vent, nous préparons immédiatement une casserole entière et elle doit reposer pendant au moins une nuit. Comme tous les ragoûts, les sucs se concentrent lorsque vous les laissez reposer et les gouts ressortent encore plus. Et cela ne peut pas être fait en cinq minutes. Cette cuisine bruxelloise, je pense, s’est un peu perdue parce qu'elle devient chère. Vous avez besoin de main d’œuvre. Du temps. Ici, nous avons Pavel et Anika en cuisine, un excellent tandem qui s'accorde parfaitement et qui font tout eux-mêmes. »

La gentrification des Marolles
Le menu de la Brasserie Ploegmans est immuable. En été et en hiver, le menu connait quelques modifications et il y a des suggestions hebdomadaires, mais cette brasserie est surtout un endroit où les gens viennent pour la familiarité et la convivialité. Beaucoup de clients réguliers s’y sentent comme à la maison. « Nous avons une incroyable variété de clients. C'est typique des Marolles. Derrière, vous avez des logements sociaux, un peu plus bas, vous avez l'Espace Jacquemotte avec ses appartements de luxe et son bureau d’architectes, entre autres. Et puis vous avez les cinq mille employés du Palais de Justice. Eh bien, tous ces mondes se rejoignent ici sans aucun problème. Tout le monde est mélangé et nous aimons ça. »

« Il arrive que des gens du Sablon viennent ici, mais pas très souvent. Vous êtes à peine à deux rues de là, mais c'est un monde différent. Le Sablon est le place to be, hein. Les gens y vont pour être vus. Nous ne pouvons pas demander les prix qu'ils pratiquent là-bas. Mais chez nous, tout le monde est le bienvenu et tout le monde est sur la même longueur d'onde. »

Chicon au gratin ©Brasserie Ploegmans
Chicon au gratin ©Brasserie Ploegmans

Les Marolles sont largement connues comme un des quartiers populaires de Bruxelles. Le quartier où Toots Thielemans a grandi, où les gens aiment encore zwanzer et où les cafés sont toujours animés. Mais son caractère authentique s'effrite lentement. « Le quartier a changé. Il y a moins de bistrots, donc moins de vie le soir. Malgré les nombreux logements sociaux, on assiste également à une certaine gentrification. Les rénovations vont crescendo et une clientèle arrive qui a déjà plus de possibilités. À mon avis, le quartier évolue en bien, même si les Marolles perdent un peu de leur âme. Alors que, dans le passé, l'on entendait beaucoup de dialecte bruxellois dans les rues, aujourd'hui c’est devenu plutôt rare. »

« Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion d'inviter une dame dont le grand-père avait ouvert le café Ploegmans. Son père y avait également travaillé et, petite fille, elle chantait sur les tables. Eh bien, quand elle s'est assise, j'ai vu des larmes rouler sur ses joues. Par émotion. Rien n'a été changé au décor, disait-elle. Elle était reconnaissante de pouvoir à nouveau respirer cette atmosphère nostalgique. Nous gardons cette belle histoire vivante. Et cela nous rend tellement fiers. »


Illustration ©Brasserie Ploegmans

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