Pendant huit ans, René Mathieu et Archibald De Prince ont formé le binôme complice à la tête de La Distillerie, étoilée MICHELIN et étoile verte. Ensemble, ils ont sculpté une vision singulière de la cuisine végétale. L’un, pionnier passionné, a porté haut cette philosophie ; l’autre, animé par la jeunesse et l’audace, l’a nourrie de sa propre sensibilité, jusqu’à affirmer sa propre signature culinaire.
« Dès le départ, nous avons fait le choix de ne pas nous enfermer dans des labels comme "vegan" ou "végétarien", mais de mettre l’accent sur la richesse et la diversité des produits », explique Archibald De Prince. « Notre approche se voulait innovante, autant dans l’assiette que dans le fonctionnement du restaurant. Le mercredi, par exemple, était dédié à la cueillette pour nourrir notre inspiration et imaginer de nouveaux plats. Chaque plat était le résultat d’une réflexion pensée dans les moindres détails. Idem dans l’organisation du travail, avec une attention particulière portée à l’humain. »

Début 2025, René Mathieu s’est installé à Findel, près de l’aéroport, où il a pris la tête de Fields, la nouvelle table de l’hôtel Airfield. Une opportunité qu’il ne pouvait pas laisser passer — et qui, déjà, porte ses fruits. « C’est un hasard si Archibald et moi avons quitté La Distillerie au même moment », explique le chef belge. « Mais c’était devenu nécessaire. Le lieu ne nous permettait plus d’évoluer. Le château de Bourglinster est superbe, chargé d’histoire, mais aussi très ancien. Fields est le lieu parfait pour faire avancer notre cuisine dans un cadre inspirant. »
« Dès l’ouverture, nous étions complets, ce qui est une grande satisfaction. Le restaurant est facilement accessible en transports en commun et séduit une clientèle jeune et active qui apprécie une cuisine légère et un service rapide. Cela profite aussi à nos équipes, qui peuvent finir à des horaires raisonnables. Pour nous, la durabilité ne se limite pas à la préservation de la planète mais passe aussi par le bien-être des employés. »

Dans l’assiette, René Mathieu reste fidèle à son ADN : une cuisine en lien direct avec la nature. Il continue la cueillette sauvage dans les forêts voisines et fait toujours confiance aux Paniers de Sandrine pour les légumes. La nouveauté : désormais, il va à la rencontre des clients, tout au long du service, pour partager sa vision. « La cuisine doit être lisible. Le légume doit se voir, se goûter, s’exprimer pleinement. Un plat peut sembler simple au premier regard, presque brut, mais c’est en le dégustant qu’il révèle toute sa complexité. Notre cuisine s’est épurée, nous avons compris qu’un légume peut, à lui seul, porter tout un plat. »
« La cuisine végétale offre une richesse incroyable. Une pièce de viande reste une pièce de viande, avec quelques variations selon la race, bien sûr. Mais le végétal, lui, ouvre un champ de possibilités beaucoup plus vaste. C’est une autre façon de cuisiner, qui demande de tout repenser. La mise en place est plus poussée, ce qui apporte une vraie sérénité pendant le service. On fermente, on saumure, on cuit longuement… Il faut déconstruire ce qu’on a appris, changer de réflexes. Si le barbecue a tourné pendant le service, on peut y glisser un céleri-rave pour qu’il cuise toute la nuit avec la chaleur résiduelle. Il faut oser, sortir des cadres. »
Fields fait aussi partie d’un hôtel, mais René Mathieu, lui, se concentre uniquement sur la cuisine. Chez Archibald De Prince, l’expérience est plus immersive : les clients viennent dîner, dorment sur place, puis partent en balade dans les environs. L’idée de l'établissement est née il y a quatre ans. « Au départ, je pensais ouvrir un restaurant plus classique en ville, mais ce n'était plus possible », explique le chef De Prince. « Je voulais continuer sur ma voie, et je ne le regrette pas. Le restaurant est bordé par une forêt de 36 hectares, un biotope exceptionnel que j’ai la chance de pouvoir valoriser. »

« Nous sommes installés dans un ancien moulin, autrefois maison d’été des moines d’Echternach, où se trouvait un étang à truites. Nous prévoyons de le réhabiliter et de faire de la truite l’un des plats emblématiques de la maison. Nous allons aussi créer un jardin d'herbes et de fleurs. Pour les légumes, nous continuons de faire confiance à Sandrine. Il est essentiel de soutenir les producteurs locaux. »
Archibald De Prince et son épouse Rachel écrivent leur propre histoire dans leur restaurant, avec une cuisine tournée vers les plantes et un menu 100 % végétalien, sans pour autant exclure viande ou poisson. « Ce qui compte avant tout pour moi, c’est l’origine du produit. Savoir ce que l’on mange, c’est la base, ce qui définit mon identité » affirme le chef. « En tant que Belges installés à l’étranger, nous avons à cœur de valoriser les produits de notre pays. Cela se reflète dans notre chariot de fromages, la truite que nous achetons dans la vallée de l’Our, mais aussi dans la décoration, avec des œuvres d’artistes belges, comme les lithographies de Philippe Geluck. Nous aimons le dialogue entre tradition et modernité. Et oui, un morceau de viande ou de poisson a toute sa place, à condition que l’approvisionnement soit irréprochable. »

René Mathieu et son ancien bras droit suivent désormais des trajectoires distinctes, mais restent unis par une complicité intacte et un profond respect. Le premier a récemment fait revenir Jérôme, son ancien sous-chef, dans son équipe. Archibald De Prince, à son tour, transmet le flambeau : il est devenu le mentor de Lucas. « Nous cherchons, chacun à notre façon, à toucher nos hôtes, les surprendre, éveiller leur conscience », conclut le chef Mathieu. « Aujourd’hui, les menus végétaux se multiplient dans les restaurants, mais beaucoup manquent encore de précision et de cohérence. Il reste beaucoup à faire. Je suis fier de voir Archibald voler de ses propres ailes, avec sa propre sensibilité végétale. C’est, j’en suis convaincu, la voie de demain. »