Reportages 1 minute 31 mai 2024

Les confessions de Werner Loens : le bouledogue

Huit mille cinq cents repas dans plus de 20 pays, 3 600 séjours à l’hôtel, 20 000 rapports rédigés, 1 600 000 kilomètres parcourus en voiture… Le palmarès de Werner Loens, après trente-sept années en tant qu’inspecteur et directeur MICHELIN, est impressionnant. Son histoire, inspirante, l’est tout autant. Aujourd’hui : le bouledogue.

La cuisine était moins complexe lorsque j’ai commencé à la fin des années 1980. Même si la « nouvelle cuisine » émergeait, les bases restaient centrées sur un produit, une garniture et une sauce. De ce point de vue, c’était plus facile qu’aujourd’hui. Les cuisines sont désormais d’inspiration internationale, tout comme les vins d’ailleurs, et il faut donc apprendre en permanence. Le spectre est beaucoup plus large. Par ailleurs, le métier d’inspecteur est devenu plus facile dans d’autres domaines, mais j’y reviendrai plus tard.

Dix jours seulement après mon entrée chez Michelin, je me suis rendu à Paris pour un stage d’une semaine. À l’époque, un voyage dans la capitale française était plus aventureux qu’aujourd’hui. On vous donnait une adresse avec pour consigne de vous y rendre à temps avec votre valise et votre costume. Sur place, on me présenta l’inspecteur avec lequel je devais travailler pendant une semaine en Bourgogne. Un vrai bouledogue. Il ne pouvait pas conduire la voiture tranquillement, par exemple. Il s’énervait contre tout le monde. Deux feux rouges consécutifs, et je craignais qu’il ne saute sur le capot !

Mais bon, il m’a emmené à L’Espérance de Marc Meneau, alors triplement étoilé. Je n’avais jamais mangé dans un restaurant une étoile, et là, je me retrouvais dans l’un des meilleurs établissements de France. Je me souviens très bien qu’on nous a servi des cromesquis de foie gras en amuse-bouche, puis des huîtres en gelée d’eau de mer en entrée. Le plat principal était un magnifique poulet de Bresse croustillant, avec de la truffe sous la peau et une sauce crémeuse au vin jaune. Si je ferme les yeux, je peux encore imaginer ces saveurs incroyables. Nous avons terminé par un choix dans l’impressionnant chariot de fromages – plus d’une cinquantaine de pièces – et un soufflé chaud au chocolat. Vous voyez : un repas spécial reste à jamais gravé dans votre mémoire.



« Un très bon repas qui correspond bien à sa distinction et à sa classification » : telle était la conclusion assez restreinte de mon rapport. C’est peu dire qu’ils n’étaient pas contents, à Paris (rires) ! Jusqu’alors, je n’avais jamais vraiment rédigé de rapport détaillé. J’ai vraiment dû apprendre cela. Nous ne prenions jamais de notes lors des dîners, et je ne l’ai pas fait non plus par la suite. Mais maintenant, nous avons des photos qui peuvent nous aider.

Je ne savais peut-être pas encore bien écrire, mais manger ne posait aucun problème. J’étais un véritable moulin à digestion. Deux repas complets par jour ne me posaient aucun problème, et mes assiettes étaient toujours vides. J’ai pris 8 kilos au cours des six premiers mois de ma carrière, et qui n’ont fait que croître par la suite.

Mon collègue français a également remarqué que j’étais un bon mangeur. Lorsque nous sommes arrivés à Strasbourg le samedi après-midi, où je devais prendre le train pour Bruxelles le lendemain, j’ai proposé que nous allions encore manger une choucroute, puisque nous étions en Alsace. Lui espérait une salade et m’a fait les gros yeux (rires). Je pensais alors être débarrassé de lui. Jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, j’entre dans notre bureau à Bruxelles et le voie devant moi. Mon nouveau patron se révélait être le bouledogue.


La semaine prochaine : rendez-vous à La Belle Maraîchère

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