Au Royaume-Uni, les gens adorent les comptoirs. Plus seulement pour avaler un œuf dur en vitesse, mais désormais pour déguster un menu en plusieurs services tout en étant aux premières loges face aux fourneaux. Une tendance qui s’affirme en France aussi, comme avant elle, celle des petites assiettes et de la cuisson au feu de bois. Aulis, la table étoilée à Londres du chef anglais Simon Rogan, le chef révéré de L’Enclume – situé à Cartmel, près du grand parc national, le Lake District, région frontalière de l’Écosse où prolifèrent les restaurants étoilés au guide MICHELIN – propose une exceptionnelle expérience autour d’un comptoir, qui s’articule autour d’un menu dégustation fleuve. C’est une sorte de table d’hôtes intime, avec un menu dégustation très élaboré. Le genre de concept difficile à bien exécuter, mais ici le pari est réussi, en toute intimité et avec maestria. Réjouissante, théâtrale et tout simplement exquise, l’expérience culinaire est de celles que l’on n’oublie pas. Nous avons demandé à un inspecteur du Guide MICHELIN de nous expliquer ce qu’elle a de si particulier.
L’arrivée
Caché dans une ruelle étroite de Soho, Aulis n’est pas l’établissement le plus facile à localiser, avec sa façade peinte en noir. Une fois à l’intérieur, en revanche, un monde de délices vous attend, comme a pu le constater un de nos inspecteurs…
« C’est le chef Charlie Tayler qui nous accueille à notre arrivée. Une fois installés au bar, un apéritif nous est proposé. Une bière pour moi – une Anvil pale-ale que Simon Rogan brasse lui-même – et pour mon commensal, un sirop « marin » non alcoolisé additionné de tonic, suivis des amuse-bouches, déjà gastronomiques. »

L’équipe
Le comptoir annonçait la couleur : les chefs sont au centre de l’expérience. C’est à eux, plutôt qu’à un personnel de salle classique, que revient la responsabilité du service. Quand nos inspecteurs viennent y dîner, un sommelier se trouve en salle, mais le reste du service est entièrement dirigé par le chef Charlie Tayler. Comme l’explique un de nos inspecteurs, la soirée est une réussite.
« Le succès d’une table d’hôte comme Aulis dépend certes du repas, mais aussi et surtout de la personnalité des chefs en question. Sous le regard bienveillant et détendu de Charlie Tayler, chacun d’entre eux se montre avenant, professionnel et connaît ses assiettes sur le bout des doigts. À chaque nouveau plat, les chefs décrivent avec une fierté non dissimulée les détails de leur réalisation, depuis la provenance des ingrédients jusqu’à la variété de tomate utilisée. Les éléments les plus spectaculaires du repas, comme les accords mets-jus que commandent certains convives, sont mis en scène avec talent. »

L’assiette
À Aulis, la carte fait le pari de la surprise, avec un menu dégustation qui évolue constamment en fonction de la disponibilité des produits. D’après notre inspecteur, c’est ce lien entre le producteur et le chef qui donne tout son sens au restaurant.
« Travailler en tandem avec la terre fait partie de l’ADN d’Aulis. Un grand nombre de produits utilisés provient ainsi de Our Farm, l’exploitation agricole bio située à Cartmel (dans le comté de Cumbria, dans le nord de l’Angleterre) et créée par Simon Rogan pour approvisionner L’Enclume, Aulis et ses autres restaurants. Fleuron du groupe, L’Enclume a reçu une étoile verte au Guide MICHELIN pour récompenser son approche durable de la cuisine. À Aulis, les chefs cultivent un dialogue permanent avec les agriculteurs pour exploiter au mieux les qualités des ingrédients cueillis à pleine maturité. Si la cuisine est empreinte de créativité, c’est cette attention méticuleuse au produit qui définit la philosophie de la cuisine d’Aulis et en garantit les saveurs. »

Les plats dégustés
Nos inspecteurs ont goûté tellement de plats que les énumérer en détail serait interminable. Nous préférons vous en présenter quelques-uns qui les ont particulièrement impressionnés et qui résument l’essence de la cuisine proposée.
Les bouchées apéritives
« Véritables éclats de saveurs pour commencer la soirée, ces amuse-bouches sont précis, délicats et tout simplement délicieux. Ils donnent le ton pour la suite du dîner. Plutôt que de les servir tous en même temps, chaque bouchée est servie une après l’autre, chaque chef présentant avec fierté sa création. Comme souvent, deux d’entre eux sont des tartelettes : la première, à la groseille à maquereau, est garnie d’une base de tartare de dorade crue qu’égaie une garniture florale, assaisonnée d’une huile de charbon de bois au goût prononcé ; l’autre sert d’écrin à des parures et des dés de topinambour. Elle est associée à un ragstone (fromage de chèvre anglais) fouetté et à de l’estragon que relève une subtile note de stout (bière brune). »

« Arrive ensuite un hors-d’œuvre un peu plus consistant : un beignet doré, copieusement garni d’anguille du Devonshire. Le poisson à peine fumé est associé avec astuce à un voile de lardo (lard) affiné par la maison ; un caviar Petrossian assure une touche finale brillante. Mais selon moi, la plus réussie est la bouchée suivante : le pudding à la truffe. Variante d’un plat servi à L’Enclume, cette pâtisserie aux airs de croissant est glacée à la sève de bouleau et coiffée d’une généreuse portion de Corra Linn (fromage de brebis écossais, aux allures de cheddar rustique). Le dernier hors-d’œuvre, une eau de tomate sungold bien concentrée, avec une pointe de livèche et accompagnée d’un fin biscuit à la délicate forme de feuille, clôture cette première partie de manière rafraîchissante. »
Gelée de varech anglais aux tendons de bœuf, petits pois Oscar, œuf de caille mariné et bouillon de bœuf rôti
« Ce que j’aime particulièrement dans ce plat, c’est ce qu’il dit beaucoup de la capacité en cuisine à s’adapter à ses fournisseurs. Un des chefs m’explique que lorsque Our Farm s’est mis à élever des cailles, le restaurant a décidé d’intégrer les œufs de caille marinés dans cette déclinaison du chawanmushi (crème salée aux œufs). L’utilisation des algues anglaises dans une gelée soyeuse et bien assaisonnée est un autre bel exemple d’une démarche visant à tirer le meilleur des produits britanniques plutôt que de s’aventurer à l’étranger. »
Saint-Jacques de l’archipel des Orcades cuites sur braises, miel de bourrache fermenté, butternut Hunter F1 et varech
« Outre leur qualité irréprochable, les coquilles Saint-Jacques des Orcades donnent au chef Charlie Tayler l’occasion d’ajouter une dimension plus théâtrale au dîner. Si une bonne partie de la préparation a été réalisée en amont, les dernières étapes de la cuisson des mollusques se déroulent sous les yeux des clients. Derrière le comptoir, on installe un gril japonais, sur lequel le chef Charlie Tayler saisit les Saint-Jacques dont un parfum incroyable se dégage. Succès assuré pour la préparation de ce produit noble. »
Fraises Malwina, gâteau au pollen, crème de verveine citronnelle et fines herbes
« Je suis depuis toujours un grand fan des desserts à base de fruits, et celui-ci m’a rappelé pourquoi. Le plat – avec encore une fois des produits issus de Our Farm – est porté par les fabuleux parfums naturels des fraises Malwina. Les baies macérées sont associées aux arômes mielleux du gâteau au pollen, à ceux de la verveine citronnelle de la crème et à quelques fines herbes. Une délicate tuile en sucre apporte la touche finale à l’assiette et souligne encore une fois, s’il en était besoin, la précision et la maîtrise technique des chefs. »

En conclusion
« Aulis est un restaurant qui se distingue à la fois par la mise en scène du repas autour de son comptoir et par son lien fort avec Our Farm, à Cartmel. Aucun de ces éléments ne relève du simple artifice : tous deux procèdent d’un réel engagement. Ce genre de concept, où les chefs sont sur le devant de la scène et assurent tout le service, ne fonctionne que si leur présence est avenante et leur rythme impeccable. Une cuisine qui met l’accent sur les saveurs naturelles des ingrédients, n’est réussie que si les produits sont d’excellente qualité et que les chefs travaillent main dans la main avec leurs fournisseurs. L’équipe d’Aulis relève à tous égards le défi avec brio. Au moment de partir, Charlie et son équipe nous remercient et remettent à chacun des convives un menu scellé ainsi qu’un pot de sel aux algues, charmante attention qui parachève une soirée qui n’en aura pas manqué. »