« Il y a deux ans, je me promenais dans les serres de mon fournisseur de chicons, lorsque nous sommes passés devant un tas de racines de chicons dont la tête avait déjà été coupée. Ces racines étaient utilisées pour l'alimentation animale. Tant de déchets avec si peu de résultats, je trouvais ça fou. Et j'ai donc commencé à les utiliser. D'ailleurs, en Italie, on les utilisait aussi pour la cuisine. J'ai découvert qu'il fallait les blanchir plusieurs fois et qu'on pouvait ensuite en faire des chips ou de la purée. L'essentiel est de bien doser le sucre pour trouver le bon équilibre. »
Cette anecdote résume l'inventivité et l'amour des légumes du chef Jacobs. Ce faisant, il démontre aussi l'intérêt de travailler ‘de la tête à la racine’, une pratique qui s'est un peu perdue. Cerise sur le gâteau, le chef a redécouvert la véritable amertume. « Les racines sont en effet très amères, contrairement aux chicons que l'on trouve aujourd'hui dans le commerce. C'est malheureusement le cas de presque tous les légumes amers aujourd'hui. En sélectionnant certaines variétés, on a commencé à atténuer l'amertume. C'est très regrettable. J'y vois un déraillement de l'industrie alimentaire. »
L'atténuation du goût des légumes amers a donné un coup de fouet à certaines variétés. Il suffit de regarder la popularité des asperges. Selon le chef Jacobs, ceux qui souhaitent rehausser l'amertume doivent torréfier le légume jusqu'à ce que les saveurs respectives ressortent bien. « Je ne veux pas dire brûler le produit, ce qui est apparemment une nouvelle mode. Actuellement je travaille avec des asperges bio de qualité, qui sont de toute façon plus amères. En les torréfiant et en les colorant juste assez longtemps, on retrouve ces nuances d'amertume typiques. C'est ce que je recherche. Je pense qu'il faut respecter l'identité d'un légume et ne pas le dénaturer. »
« Il nous arrive régulièrement de faire un bouillon végétal, comme un bouillon de viande, mais avec des légumes. Pour cela, nous les colorons d'abord au four. Si l'on ajoute des navets avec la peau, cela ajoute de l'amertume et de la longueur aux saveurs. J'aime aussi terminer les sauces avec de l'amertume. Pour cela, je torréfie du malt d'orge, par exemple. »
Chez Hors-Champs, le menu propose toujours une préparation végétarienne. Le chicon a, entre autres, déjà été mit en valeur avec une purée douce-amère et des chips de racines de chicon, un crémeux de chicon doux, des feuilles blanchies, un chicon poêlé de façon classique et une réduction de chicorée maison. Ceux qui veulent cuisiner les légumes amers n'ont évidemment pas besoin de mettre autant de soin dans leur plat. Mais il est vrai que ces légumes nécessitent un peu plus de doigté.
« C'est un peu plus difficile, oui. Il faut vraiment doser correctement. Il en va de même pour l'acidité, d'ailleurs, mais l'amertume reste un élément qui divise les gens et en dérange certains. C'est ce qui la rend intéressante à mes yeux. Elle demande un peu plus de réflexion et le tour de main d'un chef. Il faut réussir à garder cette amertume sans qu'elle dérange. »
« Prenons l'exemple de l'endive (le légume feuille et non le chicon, ndlr.) : on peut incorporer les jeunes feuilles dans une salade et les combiner avec du caramel au miel. L'ajout de sucre ou de gras va adoucir les saveurs. Mais encore une fois, il faut trouver le bon équilibre. C'est ce qui rend la cuisine des légumes amers tellement agréable. »