Restaurants 3 minutes 29 octobre 2024

Histoire du lièvre à la royale : le vrai du faux

Vous croyez tout savoir sur l'agouti, le bossu, le coureur, j'ai nommé le lièvre à la royale ? Vous risquez d'être surpris.

Comme souvent en cuisine, en apparence, ça a l'air simple. En matière de lièvre à la royale, on entend souvent qu'il y aurait deux grandes Ecoles : une recette historique, dite façon Antonin Carême, illustre maître-queux (1784-1833). Et une version plus tardive, inventée fin 19ème siècle par un sénateur gastronome, Aristide Couteaux (1835-1906) .

Celle que l'on voit le plus, la plus graphique, c'est celle attribuée à Carême : cette grosse rondelle nappée d'une sauce noire, souvent photographiée du dessus dans les livres de cuisine. L'animal entier est intégralement désossé (à cru), la viande roulée. On prépare une farce riche avec abats, foie gras, truffe, oignons, cuite en ballotine au bouillon pendant des heures, à feu très doux. Celle-ci sera ensuite détaillée en tranches d'environ 2 cm d'épaisseur, puis copieusement arrosée d'une sauce liée au sang.

Le lièvre à la royale de Christophe Hay (dit « façon Carême »), avant qu'il ne soit nappé de sa célèbre sauce brune © Fleur de Loire
Le lièvre à la royale de Christophe Hay (dit « façon Carême »), avant qu'il ne soit nappé de sa célèbre sauce brune © Fleur de Loire
Le lièvre à la royale de Thomas Parnaud (Le Georges, à Chartres), façon Carême © Laurent Seminel
Le lièvre à la royale de Thomas Parnaud (Le Georges, à Chartres), façon Carême © Laurent Seminel

La seconde recette, façon « Sénateur Couteaux » est plus rustique (et moins esthétique visuellement), se concentrant davantage sur les saveurs du gibier. Le lièvre est également désossé, cuit en civet à l'étouffée, longuement confit « à la périgourdine » avec de l'ail, purée d'échalotes, dans une sauce au vin rouge liée au sang, jusqu’à obtention d’une espèce de compotée qui s'effiloche.

Le lièvre Sénateur Couteaux de la brasserie La Cour, au Grand Monarque © Laurent Seminel
Le lièvre Sénateur Couteaux de la brasserie La Cour, au Grand Monarque © Laurent Seminel

Antonin Carême n'a pas créé la recette

Carême, inventeur du lièvre à la royale ? Faux ! s'insurgent plusieurs historiens contemporains de la cuisine française, à l'instar de Patrick Rambourg. Le « roi des chefs et chef des rois » (comme on le surnommait) n'aurait jamais été l'auteur d'une quelconque recette de lièvre à la royale... Pour la simple et bonne raison qu'il est mort dans la première moitié du 19ème siècle. Or, historiquement, on ne commence à évoquer cette recette qu'à partir de la fin du 19ème siècle. Sans compter que pas une fois le très influent Alexandre Dumas, auteur du Grand Dictionnaire de Cuisine publié en 1873, ne mentionnera de recette de ce type lorsqu'il évoque Antonin Carême. C'est aussi l'avis de Gérard Allemandou et Philippe Berthet-Bondet, qui publiaient  le 8 octobre dernier un ouvrage intitulé Le lièvre à la Royale : petite histoire d'un grand plat (éditions Menu Fretin).

Marie-Antoine Carême / DR : Chevalier de Cussy, Public domain, via Wikimedia Commons
Marie-Antoine Carême / DR : Chevalier de Cussy, Public domain, via Wikimedia Commons

Le plat n'a pas été inventé pour le Roi-Soleil

Tant qu'à faire, levons un autre lièvre : faux aussi, ce mythe qui raconte que le plat aurait été inventé pour le Louis XIV, amateur de gibier qui souffrait de graves maux de dents. Si le Roi-Soleil avait bien une dentition qui laissait à désirer, selon toute logique, il ne pouvait guère mastiquer qu'une chair effilochée, rendue fondante suite à une cuisson lente et longue... Comme dans la version d'Aristide Couteaux ! Impossible pourtant, Louis XIV étant mort en 1715, et la recette du sénateur n'ayant été publiée qu'en 1898.

 Le lièvre à la royale du Lucas Carton à Paris. Le chef Hugo Bourny le travaille « façon Carême », ou plutôt faudrait-il dire, Ali-Bab © Le Photographe du Dimanche
Le lièvre à la royale du Lucas Carton à Paris. Le chef Hugo Bourny le travaille « façon Carême », ou plutôt faudrait-il dire, Ali-Bab © Le Photographe du Dimanche

Henri Babinski alias Ali-Bab, aurait créé la recette avec sauce brune (la plus connue) au 19ème siècle

Et si, au lieu de parler de lièvre à Carême, on parlait de lièvre à la Ali-Bab ? Car c'est finalement Henri Joseph Séverin Babinski, aussi connu sous le pseudonyme d'Ali-Bab, ingénieur des mines Français, né d'un père polonais émigré à Paris, qui fournira le premier, au tout début du 20ème siècle, la recette de ce lièvre roulé et farci telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Grand voyageur et fin palais, fondateur de l'Académie des Gastronomes en 1928, l'homme est célèbre pour avoir publié en 1907 une Gastronomie pratique, sous le pseudonyme d'Ali-Bab. Dans celle-ci, il explique comment désosser à cru le lièvre, qui est ensuite farci et cuit en ballotine, au vin. Le foie gras et la truffe sont les éléments de base de sa farce, et la sauce est liée avec le sang de l’animal.

Problème : si Le Larousse Gastronomique mentionne bien en 1901 (six ans avant Babinski), une recette similaire... Celle-ci n’est jamais citée par Auguste Escoffier dans son incontournable Guide Culinaire, également paru en 1901. Le père de la gastronomie moderne mentionne bien un plat de lièvre, mais farci à la Périgourdine, sans foie gras et avec une sauce au vin blanc (et non rouge). Etrange !

Ali-Bab par Eugène Cadel © Gastronomie Pratique, par Ali-Bab, 1912
Ali-Bab par Eugène Cadel © Gastronomie Pratique, par Ali-Bab, 1912

Le Sénateur Couteaux a bien inventé une autre version 

Jeanne Savarin, rédactrice en cheffe de Cuisine des familles, « recueil hebdomadaire de recettes d'actualité », rapporte que le 29 novembre 1898, le sieur Couteaux « sénateur de la Vienne, éminent agronome et brillant écrivain », est congratulé par ses pairs pour une recette qu'il a fait paraître la veille dans le journal Le Temps. « La recette dont il s’agissait était celle du Lièvre à la Royale, et Monsieur Couteaux en était l’auteur » écrit-elle.

En 1899, dans sa gazette, la même Jeanne livre une recette assez précise de notre lièvre, allant jusqu'à détailler le sexe et l’âge de l’animal ! Dans celle-ci, la viande n’est ni roulée, ni farcie au foie gras, ni truffée, ni découpée en tranches... Mais bien servie très confite et effilochée. C'est cette recette dite « façon Sénateur Couteaux » que Paul Bocuse et Joël Robuchon mettront à l'honneur près d'un siècle plus tard.

Le sénateur gastronome Aristide Couteaux © TM
Le sénateur gastronome Aristide Couteaux © TM

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Photo de Une : © TM


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