Tout se joue, paraît-il, dans l'enfance. C'est là que le goût se forme. Le langage aussi. Et si, façon psychanalyse de l'assiette, on interrogeait sur le divan de la gastronomie cinq grandes toques du Guide MICHELIN ? Alessandra Montagne, Omar Dhiab, Julia Sedefdjian, Julien Allano, Youssef Marzouk... Elles et ils nous ouvrent leurs albums de famille et carnets de cuisine. Des recettes familiales livrées intactes, dans leur simplicité brute, ou retravaillées dans les fourneaux de restaurants étoilés. Des plats aux parfums nostalgiques, qui racontent en creux ces hommes et ces femmes. Une façon, bien souvent, de garder près de soi l'être cher (un grand-père, un parent disparu). De se situer dans une transmission familiale, un héritage, une histoire... Quand le souvenir d'enfance nourrit la carte : découvrez cinq hommages de chefs à leurs racines.
Le gâteau de semoule d’Omar Dhiab
Quoi ?
L'objet des délices est un gâteau de semoule à la texture proche d’un flan, généreusement parfumé à la fleur d’oranger, caramélisé, avec des raisins de Corinthe. (Voir recette livrée en exclusivité interplanétaire pour les lecteurs en toute fin d'article !Pourquoi ?
Au sein de cet épatant restaurant Étoilé, sis tout près de la place des Victoires, il est servi à la toute fin du repas, à même le plat, en guise de mignardise. Un geste qui marque. Qui dit générosité et gourmandise, mais aussi les origines orientales et la jeunesse de ce trentenaire à cheval entre deux cultures, élevé en France de parents Égyptiens. Lait, semoule, miel, œufs, fleur d'oranger, caramel... « Je souhaitais clôturer le repas en partageant un souvenir d'enfance authentique, sans fioritures », explique Omar. « Je ne voulais pas terminer avec des mignardises trop travaillées façon mini tartelettes. Je voulais un dessert simple, qui parle à tout le monde. Et qui évoque, donc, des souvenirs à d'autres. » Cuit dans un grand plat et servi directement à la cuillère, il casse les codes du restaurant gastronomique.Qui ?
« C'est la recette de ma mère, inspirée de la basboussa égyptienne. Je l'ai juste travaillée pour la rendre plus gourmande et crémeuse. » La matriarche ne confectionnait ce dessert que quatre fois par an. « C'était un moment qu'on attendait tous ». Il avait « environ 12 ans » à l'époque, même si il a attendu d'en avoir 28 pour oser se réapproprier la recette maternelle à l'ouverture du restaurant, en septembre 2022.La bouillabaisse de Julia Sedefdjian (Baieta)
Quoi ?
On dirait le Sud... Ancienne des Fables de la Fontaine (Paris), celle qui fut en 2023 la plus jeune cheffe étoilée de France, mitonne une cuisine colorée et parfumée, chantant la Méditerranée. Chez Baieta, son incontournable Bouillabaieta est une bouillabaisse revisitée, sa version personnelle du classique.
Pourquoi ?
Ce plat signature est un clin d'œil à ses racines provençales. Elle propose le pain soufflé comme une pissaladière en amuse-bouche.
Qui ?
« Mon plat s'inspire de la recette de ma marraine et de mon papa ».Le créponné verveine de Julien Allano (JU-Maison de Cuisine)
Quoi ?
C'est au cœur de Bonnieux, l’un des villages emblématiques du Lubéron, que cet ancien de La Mirande (Avignon) et du Clair de la Plume (Grignan) a choisi de s'installer. Une belle maison traditionnelle aux pierres apparentes, habillée d'un mobilier artisanal en noyer brut qui ne manque pas de cachet. Le chef propose un créponné verveine en pré-dessert. Un sorbet texturé (le nom même évoque l’idée du crépon), au citron, dont la douce amertume prépare le palais à conclure avec la partition sucrée.Pourquoi ?
Cette douceur est issue de la tradition culinaire pied-noire. « C'est un hommage à ma grand-mère, qui a vécu son retour en France, en 1963, comme un déracinement. Elle cuisinait les saveurs d'Afrique du Nord par mélancolie ». Privé très tôt de son papa, qui était lui-même cuisinier, le chef grandit entouré de sa maman et de ses grands-parents, dans le souvenir de ce père et des saveurs enivrantes et plats de partage, issus de ses racines pieds-noirs et italiennes.
Qui ?
C'est une recette recrée, une interprétation libre du créponné algérien, originaire d’Oran, qui puise dans l'imaginaire de cette Algérie mystérieuse et fantasmée.
La brioche sans beurre d’Alessandra Montagne (Nosso)
Quoi ?
Dans son restaurant contemporain et chaleureux tout en bois et béton, entièrement ouvert sur l’extérieur avec ses grandes baies vitrées, la cheffe brésilienne s'inspire des parfums de son enfance. A commencer par cette drôle de brioche. « Je reproduis la recette de ma grand-mère à la lettre, sans beurre, mais avec de l'huile. Chez Nosso, elle est servie depuis à chaque convive avec le menu dégustation »Pourquoi ?
« J'ai grandi en mangeant tous les matins cette brioche cuite au feu de bois qui me brûlait les doigts, accompagnée d'un café. C'est pour moi un souvenir réconfortant, symbole de l'insouciance de l'enfance » , raconte Alessandra, qui a été élevée par sa grand-mère dans une ferme au Brésil. Elle a grandi avec peu de moyens mais a connu une enfance heureuse. « Ce souvenir est resté enfoui au fond de moi pendant longtemps. Je l'ai redécouvert lors de l'écriture de mon livre, il y a trois ans. Je me suis rendue au Brésil avec la journaliste Laurène Petit et la photographe culinaire Maki Manoukian. Nous avons reproduit la scène, la brioche chaude et les tasses de café. Je pensais que cette brioche typique du Brésil ne plairait pas aux Français, mais Maki Manoukian a eu un coup de cœur. J'ai alors réalisé qu'il fallait reproduire ce souvenir dans mon restaurant. »
Qui ?
« La brioche sans beurre est à l'origine une recette de mon arrière-grand-mère. Elle la cuisinait avec du saindoux, qui était très utilisé au Brésil, notamment pour conserver la viande. Ma grand-mère, elle, n'aimait pas le goût du saindoux et l'a remplacé par de l'huile neutre. La brioche était cuite dans le foyer en bois bricolé par mon grand-père, qui était le cœur de la maison. »Le chocolat fumé, tagette de Youssef Marzouk (Aldéhyde)
Quoi ?
Tout récemment sélectionné dans le Guide MICHELIN par nos inspecteurs, Aldéhyde est cet établissement intimiste ancré près des quais de Seine. Depuis son comptoir-cuisine, Youssef Marzouk orchestre un menu surprise, qui mêle subtilement tradition française et parfums du Maghreb. A l'instar de ce dessert à base de chocolat fumé et tagette. « clivant pour beaucoup », reconnaît le chef, mais qui raconte une vraie histoire personnelle. Le principe ? « Du chocolat noir, que je me fume moi-même pour avoir une totale maîtrise du degré de fumage. Je le travaille ensuite de trois façons : en sablé , en crémeux chocolat et en siphon... Et je viens y apporter une note herbacée avec un sorbet à la tagète, plus légère et subtile que la menthe »Pourquoi ?
« Ce dessert est directement inspiré de mon enfance. Quand je rendais visite à ma famille en Tunisie, je ne manquais jamais de ramener une boîte d’After-Eight à mon grand-père, il en raffolait et c'était difficile de s'en procurer là-bas. Quand je repense aujourd'hui à ce souvenir, je me rappelle d’une légère odeur de fumée... Sauf qu'à cette époque je n’arrivais pas à savoir d’où elle venait. Ce n’est qu’en grandissant que j’ai compris qu’elle venait des vêtements de mon grand-père, qui faisait le marché avec une vieille mobilette, ce qui lui donnait ce parfum si caractéristique. »
Qui ?
La boîte de chocolats After-Eight est un classique qui aura marqué la génération des années 1980. Cette marque de confiseries d'origine britannique créée en 1962, accessible moyennant quelques euros dans toutes les grandes et moyennes surfaces françaises, a imprégné le quotidien de la classe moyenne. Consommée au moment du thé ou du café, elle se composee d'une fine feuille de chocolat noir fourrée d'une crème à la menthe.
En exclusivité pour les lecteurs MICHELIN :
la recette du gâteau de semoule à la fleur d’oranger et raisins de corinthe d'Omar Dhiab
Ingrédients pour le gâteau de semoule :
- 600 g de lait entier- 200 g crème liquide entière
- 50 g de beurre doux
- 120 g de semoule (grain moyen)
- 65 g de miel
- 75 g d’oeuf entier (environ 2 oeufs de taille moyenne)
- 15 g de fleur d’oranger liquide
- 40 g de raisins secs de corinthe
- 120 g de jus de pomme (acheté en épicerie fine)
Ingrédients pour le caramel :
- 200 g de sucre- 100 g d’eau chaude
Étapes de préparation :
1- Dans une casserole mélanger les 500 g de lait, le beurre et la crème et porter à ébullitionAjouter la semoule et la faire cuire pendant 3 min à frémissement. Débarrasser la semoule dans un cul de poule et la refroidir rapidement sur glace.
2- Une fois la préparation refroidie, ajouter le miel, les 100 g de lait entiers restants, les œufs et la fleur d’oranger puis mélanger à l’aide d’un fouet.
3- Dans une casserole faire bouillir le jus de pomme et le verser sur les raisins afin qu’ils doublent de volume.
4- Dans une autre casserole, réaliser un caramel à sec en faisant fondre sucre sur feu doux. Une fois que le sucre est d’une belle couleur brune, déglacer à l’eau chaude et mélanger vivement afin d’éviter qu’il ne brûle.
5- Dans un plat de 20 cm de longueur, tapisser le fond de 150 g de caramel puis verser l’appareil à semoule par-dessus. Cuire au four à 170 degrés à chaleur tournante pendant 15 min.
6- Laisser reposer 1h30 à température ambiante. Au moment du service, ajouter un peu de caramel par-dessus pour ajouter de la gourmandise et de la brillance.