Reportages 1 minute 28 juin 2024

Les confessions de Werner Loens : solitude

Huit mille cinq cents repas dans plus de 20 pays, 3 600 séjours à l’hôtel, 20 000 rapports rédigés, 1 600 000 kilomètres parcourus en voiture… Le palmarès de Werner Loens, après trente-sept années en tant qu’inspecteur et directeur MICHELIN, est impressionnant. Son histoire, inspirante, l’est tout autant. Aujourd’hui : la solitude d’un inspecteur.

Difficile d’imaginer une telle situation aujourd’hui : être sur la route pendant une semaine sans pouvoir communiquer avec ses amis et ses proches. Le monde est devenu si petit grâce à l’apparition de tous ces outils de communication, notamment les médias sociaux ! Comme je l’ai mentionné précédemment, nous étions largement coupés de tout et de tous lors de nos tournées. Nos contacts se limitaient aux chefs et à l’employé de l’hôtel qui nous indiquait notre chambre.

Ce n’était pas facile pour moi, car je suis un animal social qui aime être entouré. Même si j’apprécie d’être seul de temps en temps. J’ai vécu parfois des moments difficiles lorsque j’étais en déplacement. Notamment quand mon premier mariage a connu des problèmes et que j’avais un jeune fils à la maison. Imaginez : vous vous retrouvez dans le nord des Pays-Bas, sans aucune nouvelle de votre famille. Une semaine entière à se battre contre les moulins à vent, dans un brouillard gris. À rédiger des rapports, seul dans votre chambre, en vous demandant parfois : « Qu’est-ce que je fais ici ? »

J’admets que j’ai parfois eu les larmes aux yeux en m’asseyant à mon bureau d’hôtel. On se pose toutes ces questions, et puis il y a ce repas médiocre, et encore cette visite supplémentaire à planifier dans un emploi du temps déjà très serré le lendemain. Heureusement, ces journées grises ont parfois laissé place à de belles découvertes. Par exemple…



J’étais en tournée à Drenthe. Le lendemain d’une de ces lourdes soirées, j’ai dîné à Zweeloo, chez De Bokkepruik. Et là, je me suis retrouvé à manger un bon repas, et j’ai réalisé : mais c’est une étoile ! Ce sentiment compense tout. C’est comme marquer un but dans un sport.

J’ai également vécu un moment spécial au Lindehof, à Nuenen. Gerard Wollerich y officiait alors en cuisine. Au bureau, j’avais reçu une fiche pas énormément positive sur le restaurant, mais j’ai décidé d’y jeter un coup d’œil quand même, guidé par mon intuition. Une chance, car j’ai découvert un petit endroit sympa avec un beau menu. La semaine suivante, j’y suis allé pour dîner, et bingo : une étoile ici aussi. Et celle-ci était convaincante.

Il faut savoir qu’à l’époque, on prenait beaucoup plus de temps pour attribuer une étoile. Chaque plat devait vraiment être constant. Nous sommes devenus un peu plus flexibles depuis. Il le faut, car tout va plus vite dans la société de consommation d’aujourd’hui. C’est pourquoi j’aime m’attarder sur ces souvenirs et sur la belle carrière que le chef Wollerich, par exemple, a bâtie. La solitude en valait la peine.


La semaine prochaine : les sensibilités communautaires

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