"Je suis fermé le week-end, donc je n’ai pas pris les décisions gouvernementales de plein fouet et en plein service le samedi soir, mais en claquant la porte du restaurant le vendredi soir, je sentais que ça allait arriver. Fatalement. J’avais anticipé : la baisse d’activité, la clientèle moins importante ces derniers jours, et le carnet de commandes. Quand la nouvelle est tombée, il a fallu vite s’organiser : j’ai eu des sueurs liées à des pensées de banqueroute, en sachant pertinemment que j’étais en première ligne en tant que chef-propriétaire. Et puis, je me suis ressaisi, quand l’annonce des décalages des prêts bancaires et des paiements à l’URSSAF a été mise sur la table. J’ai travaillé à New York et je peux vous assurer que les chefs américains, dans la situation actuelle, sont bien plus mal lotis…
“Les premiers jours, je n'ai pensé qu'à dormir !”
Le premier lundi a forcément été particulier. Le point avec les équipes, la distribution des denrées et le nettoyage du restaurant en fantasmant sur une réouverture hypothétique. Les premiers jours, je n’ai pensé qu’à dormir. Une cure de sommeil totale pour récupérer physiquement et mentalement avant de me projeter. 10h à 12h par nuit, une façon de combler le vide. Puis j’ai profité de mon chez moi, que je vois très peu en fait, pour trier, ranger et prendre le temps. J’aide mon fils à faire ses devoirs, je cuisine les produits à disposition, ces derniers temps des asperges et des morilles, des panisses, et de l’épaule d’agneau confite avec carottes, navets et pommes de terre nouvelles.
“Je fais du shadow boxing”
Pour canaliser mon énergie, j’ai besoin de descendre dans le jardin de la résidence. Je fais du shadow boxing (je fais de la boxe depuis que j’ai 13 ans), des pompes et des abdominaux. L’important, c’est que je que je garde un quotidien organisé avec des plages de micro activités planifiées. Maintenant, je commence à me projeter : je rassure mon équipe en essayant de lui transmettre ma sérénité. Puis je vais penser à ma cuisine, à mon style. Nous les chefs, on est tellement dans une course effrénée qu’on prend rarement le temps de se poser, de faire le bilan sur notre cuisine. Le moment est idéal pour avoir un vrai recul, jouir de ce que l’on a, et surtout, continuer notre travail. Mais en mieux encore..."
Frédéric Duca est le chef-propriétaire du restaurant Rooster, à Paris.
Photo d'illustration : Julie Limont.