Actualités 4 minutes 11 juin 2024

Comment ce Guide MICHELIN a aidé les Alliés lors du Débarquement

Le 6 juin 2024, l'Hôtel des Ventes de Clermont-Ferrand a mis aux enchères un rarissime Guide 1939. Réédité en 1944 à la veille du Débarquement par les services secrets américains, il aurait servi à guider les Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale.

Dans l'Hôtel des Ventes de Clermont-Ferrand, tout le monde a les yeux rivés sur le lot 1 : un Guide rouge vintage, daté de 1939... A côté duquel figure un second exemplaire, daté lui aussi de la même année. Curieusement, la couverture de ce dernier est de couleur sable. Kézako que cet OVNI ?

Entre initiés, on l’appelle le guide « américain ». Ou le « war ». A la veille du 80ème anniversaire du débarquement allié en France, l'ouvrage revêt une symbolique forte. Pour cause : « Il a été réédité en 1944 par les Américains, à quelques milliers d'exemplaires » s'enthousiasme Bernard Vassy, le commissaire-priseur. Juste avant qu'ils ne partent combattre l'ennemi nazi en France, l'ouvrage aurait été glissé dans les sacs à dos des officiers américains.

Mais comment ce guide de voyage et de gastronomie a-t-il pu être utile aux Alliés... Alors que presque tous les restaurants français étaient détruits, fermés ou dans l'impossibilité de s'approvisionner ?

© Hôtel des Ventes di Clermont Ferrand Vassy et Courtadon
© Hôtel des Ventes di Clermont Ferrand Vassy et Courtadon

Quand le Guide MICHELIN était une arme de guerre

« Bien sûr, ces pauvres soldats ne venaient pas pour faire du tourisme », rappelle l'expert. Ce n'étaient pas les tables étoilées qui les intéressaient. En 1943, alors qu'ils préparent le débarquement sur le littoral français, les Alliés sont à la recherche d’un document pratique, facile à transporter, pour aider leurs officiers à se repérer, notamment dans des villes françaises privées de panneaux de signalisation par l’ennemi. Problème : les cartes d'Etat-Major qu'ils possèdent sont lacunaires.

La piste Gustave Moutet

La solution a vraisemblablement été apportée par un sous-officier français, Gustave Moutet. Ce résistant de la première heure avait rejoint la Grande-Bretagne dès le mois de juin 1940. En 1942, constatant la piètre qualité des plans utilisés par les Alliés, c'est lui qui aurait suggéré de reproduire en fac-similé le Guide 1939 qu'il avait emporté avec lui. Sa fille, la journaliste Anne-Elisabeth Moutet, est la première à relater l'anecdote dans un article du Sunday Times publié en 1984. L’Etat-Major allié va prendre contact avec MICHELIN, et les services secrets de Washington réaliseront un tirage spécial.

Bibendum GI. Extrait du magazine interne « Bibendum News » américain de mai 1984, dans un article commémorant les 40 ans de la Bataille de Normandie © L'AVENTURE MICHELIN (archives)
Bibendum GI. Extrait du magazine interne « Bibendum News » américain de mai 1984, dans un article commémorant les 40 ans de la Bataille de Normandie © L'AVENTURE MICHELIN (archives)

Un Guide plus précis que les cartes d'Etat-Major des Alliés !

Si l'ouvrage a été distribué à tous les commandants d’unités participant au débarquement le jour J, c'est grâce à sa simplicité d'usage. Les villes françaises, classées par ordre alphabétique, et la précision des plans des villes en font en effet  « un document complet, facile à comprendre par des non-francophones, y compris en temps de combats » pointe Bernard Vassy.

Jérôme Mottier est le Vice-président de l'Association des Collectionneurs de Guides et Cartes Michelin (ACGCM). Un collectif qui regroupe quelques trois cent passionnés du Bibendum, en France, en Belgique et en Suisse. « J'ai moi-même la chance de posséder un exemplaire de cette fameuse édition américaine. L'ouvrage, quand on y réfléchit, était une mine d'or pour les Alliés. Il indique effectivement l'état des routes, la distance entre les stations-service, le poids supporté par les ponts... »

© Hôtel des Ventes de Clermont Ferrand Vassy et Courtadon
© Hôtel des Ventes de Clermont Ferrand Vassy et Courtadon

Le seul Guide rouge... Qui n'est pas rouge ! 

« C'est le seul Guide rouge qui n'est pas rouge » rappelle le commissaire-priseur Bernard Vassy. « Le contenu est a priori exactement le même que celui de l'édition originale. Les Américains ont simplement modifié la couverture. Ils ont choisi cette couleur sable, une couleur passe-partout, neutre, sans doute parce qu'une couverture rouge eût été trop visible ».

Les initiés reconnaissent aussi la mention, tout en haut de la couverture, précisant qu'il s'agit d'un usage militaire (« For Official use only »). On lit également, tout en bas : « Reproduced by Military Intelligence Division War Department Washington ». Autrement dit, réédité par les services secrets américains.

« Ce guide américain est beaucoup plus épais que le Guide rouge original, beaucoup plus fragile aussi,  » explique Jérôme Mottier. « Le papier, on le voit, est de moins bonne qualité, ce qui est normal en temps de guerre ». Si le mystère autour de cet OVNI qui a longtemps intrigué les collectionneurs est désormais levé, « jusqu'à présent personne n'a de chiffre précis en ce qui concerne le nombre de réimpressions », regrette le passionné. « Peut-être 5000, 10 000 exemplaires... On ne le saura jamais, sauf si l'information remonte aux Etats-Unis, et que quelqu'un par miracle a la réponse. »


Il fac-simile del 1944 è decisamente più spesso che l'originale del 1939 © Jérôme Mottier- ACGCM
Il fac-simile del 1944 è decisamente più spesso che l'originale del 1939 © Jérôme Mottier- ACGCM

Une rareté quasi introuvable de nos jours

« En vingt-cinq ans de carrière, j'ai dû en vendre six ou sept »confie le commissaire-priseur de l'Hôtel des Ventes de Clermont-Ferrand. « C'est beaucoup plus rare à dénicher que le Guide Rouge de 1900, dont j'ai déjà vendu quarante exemplaires ».

Selon l'expert, il est possible que des officiers américains rescapés aient ramenés chez eux ces guides ayant servi au Débarquement, en souvenir. « Mais la plupart ont dû être jetés ou perdus après la Libération ». Les quelques exemplaires dans le monde ayant survécu portent sur leurs premières pages le nom d’un officier américain, le plus souvent un haut gradé. C'est le cas de celui de Jérôme Mottier.

© Hôtel des Ventes de Clermont Ferrand Vassy et Courtadon
© Hôtel des Ventes de Clermont Ferrand Vassy et Courtadon

Le témoignage rocambolesque d'un collectionneur de Guides MICHELIN

« L'Américain a toujours été mon préféré » glisse le Vice-président de l'ACGCM. Il faut dire que l'exemplaire militaire qu'il possède a d'ailleurs une histoire complètement rocambolesque. « Je trouvais étrange que l'ouvrage que j'avais acheté soit aussi bien conservé, quasi intact » raconte-t-il. « J'ai fait des recherches à partir du nom qui était griffonné dessus : Henry J.-F. Miller. J'ai découvert qu'il s'agissait de Henry Jervis Friese Miller, un ancien général de l'Armée de l'air américaine pendant la Seconde Guerre mondiale ».

Nous sommes en mai 1944. Lors d'un dîner au Claridge's à Londres, Miller (qui a sûrement un peu trop bu) gaffe et révèle l'impensable : la date du Débarquement imminent ! Un compte-rendu de l'Associated Press rapporte son commentaire : « Sur mon honneur, l'invasion aura lieu avant le 15 juin ». Panique à bord. Le général Eisenhower rétrograde l'imprudent et le rapatrie aux Etats-Unis. Miller et son Guide MICHELIN ne vivront pas le Débarquement.  

Henry_J._F._Miller- By United States Army - Library of Congress LC-USE613-D-008220, Public Domain
Henry_J._F._Miller- By United States Army - Library of Congress LC-USE613-D-008220, Public Domain

Un guide adjugé à plus de 7500 euros

« Cette version militaire, c’est aujourd'hui le Graal de tout passionné », rappelle Bernard Vassy. Estimé entre 5000 et 7000 €, l'exemplaire de l'Hôtel des Ventes de Clermont-Ferrand a été enlevé par un collectionneur auvergnat pour la somme de 7584 €. En 2020, la maison avait adjugé à 33 549 € un Guide MICHELIN 1900.

« Mais pour moi », tient à souligne ce spécialiste des Guides MICHELIN, « c'est surtout un objet extrêmement émouvant ». Et de conclure, rêveur : « On peut être commissaire-priseur et romantique ! Je vous le dis en toute franchise : je préfère que ce guide n'atteigne pas un prix record, mais qu'il reparte aux Etats-Unis, chez un passionné »

Livraison de cartes aux Américains, août 44, n° 1 © L'AVENTURE MICHELIN (archives MICHELIN)
Livraison de cartes aux Américains, août 44, n° 1 © L'AVENTURE MICHELIN (archives MICHELIN)

Lors de la Seconde Guerre mondiale, MICHELIN a, à de nombreuses reprises, aidé l’Etat-Major allié. Notamment en lui fournissant secrètement plusieurs centaines de milliers de précieuses cartes du nord et de l’est de la France ainsi que de la Belgique.

Pour en savoir plus, nous vous suggérons ce Guide Vert spécial Plages du débarquement et bataille de Normandie. Une réédition spéciale à l'occasion du 80ème anniversaire du Débarquement. 12,95 € sur la boutique en ligne de L'Aventure MICHELIN.


Photo de Une : © Hôtel des Ventes de Clermont Ferrand Vassy et Courtadon

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