Dans les années 1600, Amsterdam avait atteint un succès commercial inégalé. Mais alors que dans d’autres grandes villes européennes, le siècle a vu la construction de palais et châteaux baroques destinés à la noblesse et à la royauté, à Amsterdam, une grande partie des richesses sont restées aux mains des marchands. Grâce aux épices et à d’autres biens précieux du monde connu, ces marchands ont considérablement contribué à la croissance de leur ville, pour leur propre profit ; c’est pourquoi l’architecture baroque néerlandaise est plus sobre et modeste que les versions ornementales et fastueuses que l’on trouve dans le reste du continent. Une particularité que l’on retrouve surtout dans les maisons de canal, où l’aspect fonctionnel était tout aussi important que la forme.
Les maisons de canal n’étaient pas que des maisons. Elles tenaient aussi lieu d’entrepôts pour toutes sortes de marchandises. D’après Russell Shorto, historien spécialiste de la ville, un marchand possédant une maison de canal « pouvait naviguer de Chine ou du Japon jusqu’à Amsterdam et retrouver son salon et son foyer sans presque jamais toucher la terre ferme ». Les étages supérieurs accueillaient les marchandises rapportées des voyages, et un crochet fixé au somment de la bâtisse (que l’on peut encore voir sur les toits un peu partout à Amsterdam) permettait de les hisser depuis les bateaux, évitant ainsi de devoir emprunter les escaliers étroits et peu commodes qui laissaient ainsi plus d’espace aux pièces de vie.
Les constructions de l’époque sont encore debout, et incarnent un style architectural profondément associé à la ville. Ces maisons étroites, parfois irrégulières, se reflètent dans les eaux sombres et tranquilles des canaux la nuit, offrant avec leurs façades ornementées et leurs pignons pittoresques une image presque irréelle. Avec le passage du temps elles n’ont fait que prendre de la valeur. De nos jours, les maisons de canal sont des biens particulièrement prisés, et toutes offrent un témoignage du passé et du présent d’Amsterdam. Pour les visiteurs, il n’y a pas de meilleur endroit pour ressentir l’âme de la ville.
Composé de 5 maisons de canal reliées entre elles, vous aurez la nette impression à The Hoxton, Amsterdam d’avoir pris quelques centimètres ; d’ailleurs, quiconque dépasse la taille moyenne d’un marchand du 17e s. se révèlera inadapté aux bas plafonds du 5e étage. Et en parcourant ses couloirs, vous remarquerez quelques irrégularités au niveau du plancher ; des imperfections dont le Hoxton aurait pu se débarrasser lors de la rénovation, mais dans une maison de canal, l’objectif n’est pas la recherche de la perfection. Dans ces vénérables bâtisses, on respecte les fantaisies d’époque, car même dans le luxe d’un hôtel boutique, ce sont ces touches excentriques qui font la personnalité de lieu, et qui attirent aussi les visiteurs à la recherche d’une adresse plus authentique qu’un hôtel de chaîne avec salle de sport.
Voilà aussi pourquoi les chambres du Hoxton s’étendent des combles coiffés de poutres d’origine à des espaces plus généreux en-dessous, avec parquet à chevrons et clins d’œil au passé du lieu, qui accueillait autrefois la résidence du maire. Pour autant, on ne peut affirmer que le Hoxton, ni toute autre maison de canal d’ailleurs, affiche un cadre obsolète. Son immense lobby moderne et lumineux s’étend sur tout la largeur de la façade, et est occupé par les espaces communs qui font la renommée de l’enseigne, avec un restaurant clair et animé fréquenté par les résidents comme par la clientèle locale.
Le Pulitzer Amsterdam véritable labyrinthe composé de 25 maisons reliées et de la plus grande maison de canal de la ville, le décor résolument moderne et haut-de-gamme dissimule des références omniprésentes à l’histoire du lieu. La couleur des murs et des tapis donne l’indication que l’on passe d’une maison de canal à une autre, et les chambres rendent un vibrant hommage à l’Age d’or hollandais. L’hôtel dédie ses « Suites Extraordinaires » à d’anciens occupants imaginés, avec des décors inspirés de personnages comme le « collectionneur de livres » dont la chambre contient tant de livres que certains sont utilisés pour former un arc de porte. Dans d’autres chambres, l’histoire est évoquée plus simplement ; les têtes de lit en bois s’inspirent notamment des pignons typiques des maison de canal.
The Hoxton et le Pulitzer ont des allures de grands hôtels, mais quel que soit le nombre de maisons de canal qui les composent, ils restent d’anciennes maisons familiales et leurs espaces, avec leur grandes fenêtres et leurs éléments d’origine, ont conservé une atmosphère accueillante. On y vit toujours une expérience mêlant la chaleur d’un Bed & Breakfast et l’anonymat d’un hôtel de luxe.
Le Keizersgracht accueille quant à lui deux des plus petites maisons de canal de la sélection Tablet, situées à quelques mètres l’une de l’autre. Datant tous deux du 17e s., The Pavilions Amsterdam, The Toren et le Canal House offrent à leurs visiteurs un charmant lobby à l’avant et un paisible jardin verdoyant à l’arrière, deux éléments typiques des maisons de canal.
Dans chaque maison de canal, l’expérience est résolument actuelle. Mais ce sont là des lieux dont les racines assurent la stabilité de la ville toute entière ; et ce n’est pas qu’une image ! Les maisons de canal reposent sur la boue et le sable provenant des nouveaux canaux, et en-dessous se trouvent des piquets en bois enfoncés dans la tourbe, fruits du travail d’immigrants du 17e s. alimentés à la bière et aux chansons populaires. Quelque 20 km de terres sont restées fermes jusqu’à aujourd’hui grâce à l’expansion de l’Age d’or. La mer elle-même a fait place à ces maisons et sans elles, une grande partie d’Amsterdam ne serait plus là. Quand on sait tout cela, on comprend pourquoi le passé s’invite partout, jusqu’au petit-déjeuner.
« J’ai voulu représenter l’histoire de ces maisons, mais aussi le commerce qui a fait le succès des Pays-Bas », indique Jessica Frankopan, fondatrice et designer de la Canal House. Son hôtel regorge de peintures et de portraits qui s’intègrent harmonieusement dans le décor sombre et contemplatif de Marcel Wanders, designer néerlandais du 20e s. « Je voulais créer un décor aussi luxueux qu’il l’aurait été au 18e s., la grande époque où les tissus étaient rapportés des quatre coins du monde. »
Confortablement installé dans le jardin du Canal House,devant une table garnie de stroopwafels et de croissants, on s’imagine aisément en bourgeois amstellodamois des années 1600, les placards remplis de bibelots rapportés du monde entier, utilisant le canal comme voie d’accès à des destinations lointaines et exotiques… Car, au-delà de toutes les considérations historiques et architecturales, s’il y avait un seul conseil à retenir dans ces lignes, ce serait le suivant : surtout, prenez une chambre avec vue.
Image d'illustration : © Pulitzer Amsterdam