De la gare principale de Berlin, il ne me faut que neuf minutes pour rejoindre Berlin-Charlottenburg. La ligne S-Bahn 7 passe au-dessus de la rivière Spree, croise la Colonne de la Victoire et le Zoologischer Garten, pour rejoindre cette ancienne prison, abandonnée pendant vingt-sept années, et reconvertie en hôtel. Cet automne, le Wilmina a décroché une Clef MICHELIN lors de la révélation de la première sélection hôtellière réalisée par le Guide en Allemagne.
Nous sommes à Berlin-Ouest, un quartier chic et résidentiel, où l'on n’attend pas forcément un projet de ce type, réservé d'ordinaire à l'ancien Berlin-Est, plus alternatif. « En réalité, il était difficile d'imaginer qu'il restait encore un tel endroit à découvrir ici à Berlin-Ouest en 2010 », explique Almut Grüntuch-Ernst, moitié du célèbre duo Grüntuch Ernst Architects, fondé en 1991. Avec son mari Armand, ils sont aujourd'hui les heureux propriétaires et cofondateurs de ce singulier hôtel.
L'ancien palais de justice, datant de 1896, avec la prison située derrière, était resté vacant pendant près de trois décennies lorsque le couple l'a découvert. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des femmes y étaient emprisonnées, presque toujours pour des raisons politiques. Par la suite, il a été utilisé comme centre de détention pour mineurs jusqu'à sa fermeture en 1985, avant d’être plus ou moins oublié jusqu'à sa vente en 2010. Entre-temps, le bâtiment, autrefois situé au 79 Kantstraße, avait été inscrit sur la liste des monuments historiques de la ville, compliquant encore plus les futures rénovations.
Comment réinventer un lieu avec un tel passé ?
Un investisseur avait bien pensé utiliser les chambres comme espaces de stockage, mais le projet n'a pas été validé. Le couple d'architectes, lui, avait une autre vision. « Si vous examinez la typologie des espaces en architecture », explique Almut, qui est également professeure à l'Université technique de Braunschweig, « l'organisation spatiale modulaire d'une prison n'est pas si différente de celle d'un monastère ou même d'un hôtel ». Il existe d'ailleurs plusieurs pénitenciers reconvertis en hôtels dans le monde. Un exemple bien connu est le Four Seasons Hotel Istanbul à Sultanahmet. Un autre, le NoMad à Londres.
La véritable question a été de savoir comment l'hôtel pouvait surmonter ce lourd passé. Comment tourner la page, et dans quelle mesure préserver cette Histoire complexe ? À quelle fin ?
« Vais-je faire des cauchemars dans mon lit ? »
Après une courte marche, je passe devant un supermarché asiatique, un kebab et un Späti (épicerie de nuit typique de Berlin, NDLR). Je suis maintenant dans la Kantstrasse, l’un des axes principaux de la ville et artère cruciale de Berlin-Ouest. Devant un bar, des clients boivent de la bière Berliner Kindl. Il ne devrait rester que trois pâtés de maisons jusqu'à l'hôtel Wilmina, qui a ouvert ses portes en 2022.
Je m'approche d'un homme qui vient de descendre de vélo avec ses courses. « Vous cherchez l'ancienne prison pour femmes ? C'est par là. Faites de beaux rêves ! » me lance-t-il, ironique. Tandis qu'il s'éloigne en riant tout seul de sa plaisanterie, l'espace d'un instant, je me demande s'il aura raison. Vais-je faire des cauchemars une fois dans mon lit ? Mais manifestement, l'homme n'est jamais entré dans le bâtiment lui-même.
Mais voici que je débouche sur l'entrée du bâtiment principal, avec sa belle façade de style Haute Renaissance rehaussée de détails en grès. Dans la porte historique de droite, celle qui menait jadis à la prison et maintenant ouvre sur l'hôtel, je peux distinguer le mot « Wilmina ».
Je franchis la lourde porte d'entrée et pénètre dans un espace paisible et aéré.
A l'intérieur, une oasis de calme et de verdure
« Lors de notre première visite, l'endroit était très oppressant », reconnaît Almut Grüntuch-Ernst. « C'était un jour sombre, lugubre, l'endroit avait été complètement laissé à l'abandon. Le poids de ces lourds nuages de l'Histoire se faisait clairement sentir. En même temps, nous étions fascinés avec Armand par le fait que les plantes avaient pu s'épanouir sans jardinier depuis 1985. Et puis, il y a eu ce calme inattendu. Nous avons alors senti tout le potentiel d'un lieu de retraite volontaire ».
En effet, on pénètre dans l'hôtel avec dans les oreilles le bruit de la Kantstrasse. Mais en entrant dans la cour, on est frappé par le silence. À partir de là, l'espace est exclusivement réservé aux clients qui passent la nuit ici, et la vue s'ouvre sur un magnifique jardin enchanté. Une abeille bourdonne et se pose sur l'anémone japonaise à fleurs blanches. Des fougères, des feuilles et du poivre de girofle poussent à côté, des vinaigriers donnent de l'ombre et du lierre entoure les murs. Vous êtes arrivé dans un lieu de contemplation, une oasis de calme et de verdure, en plein milieu de l'effervescence berlinoise.
« C'est déstabilisant, et pourtant, je me sens à l'aise. »
Le chemin vers ma chambre passe par la salle de séjour, où les détenus étaient admis et devaient déposer leurs dernières affaires. L'armoire à clés d'origine y est toujours suspendue, avec les crochets numérotés correspondant aux soixante-dix cellules de l'époque ! Aujourd'hui, c'est un lieu de rencontre où les visiteurs peuvent se servir en fruits, café, thé et boissons 24 heures sur 24.
Ma chambre se trouve au quatrième des cinq étages. Lors de la transformation, les lourdes portes des cellules ont été soigneusement améliorées pour répondre aux normes modernes de protection contre le bruit et les incendies. Dans ma chambre, deux d'entre elles ont été réunies et les petites fenêtres grillagées d'autrefois offrent désormais une vue pleine et entière. C'est une pièce ouverte, baignée de lumière naturelle, avec un mobilier élégant aux lignes épurées, toute en tons blancs et sable, conviviale et chaleureuse. Les chambres sont décorées avec des feuilles de jardin séchées et des fleurs sous verre, là encore une idée du cabinet Grüntuch Ernst. Ma salle de bains est située sous une baie vitrée lumineuse, dans laquelle un gardien avait l'habitude de surveiller les prisonniers dans la cour. Je pose ma valise et fais une pause. L'expérience me déstabilise, et pourtant, je me sens à l'aise.
Un astucieux rooftop avec piscine de dix mètres
Je ne reprendrai plus l'ascenseur flambant neuf jusqu'à mon départ. Il y a trop de choses à découvrir dans la cage d'escalier et les couloirs des différents étages : charnières, vieilles mains courantes, trappes, portes des 19ème et 20ème siècles... On a disposé des œuvres d'art contemporaines, à l'instar de ces photographies de Hans Christian Schink, dont le thème « Lumière et Temps » est on ne peut plus approprié. Devant le mur blanchi à la chaux, une magnifique œuvre d'art composée de lampes Bocci guide le regard vers le haut et la lumière.
L'ouverture dans le toit fait partie de la structure moderne. Au sommet du bâtiment historique, un nouvel étage abrite des suites penthouse entièrement vitrées et un toit-terrasse unique, formant un contraste saisissant avec la brique historique. « Ce nouvel étage nous a également permis de réaménager le toit en espace de loisirs », explique Almut Grüntuch-Ernst. « Nous avons pu ajouter un espace ouvert avec une vue sur les toits de Berlin et les espaces abrités, verts et fermés situés en dessous. »
Ce rooftop comprend une piscine de dix mètres avec un sol partiellement vitré, à travers lequel la lumière du soleil se brisant sur l'eau se disperse astucieusement sur les étages inférieurs. Les invités en bas peuvent voir des nageurs partiellement obscurcis glissant au-dessus !
Cocktails et cuisine bistronomique
Dans le silence absolu qui règne à l'intérieur de cet Eden privilégié, seule la vue de la tour radio de Berlin vous rappelle que vous êtes toujours dans la capitale. Nous sommes en plein été, et un couple se rafraîchit dans la piscine après une séance de sauna. Je sirote un thé glacé. Le soleil descend lentement et ses rayons ne touchent plus que les chambres du dernier étage. J'essaie de me figurer l'obscurité qui devait régner à cette heure pour les détenus derrière les petites fenêtres à barreaux. Le poids de l'Histoire du lieu est présent, c'est indéniable. Mais le travail aussi formidable que colossal qui y a été réalisé incite à aller, avec respect, de l'avant.
Je trouverais juste de dire que le Wilmina n'est pas un mémorial du passé, mais une célébration de sa transformation. Je m'installe sur la terrasse devant le bar et commande le n° 71, un cocktail à base de raisin, de fleur de sureau et de framboise, avant de déguster un repas en quatre temps au restaurant Lovis de l'hôtel.
Touristes mais aussi Berlinois s'y pressent pour découvrir les créations de la cheffe Sophia Rudolph. On me sert un plat de radis mêlant crème aigre, sauce au concombre et aneth, suivi d'un flan de maïs croustillant et doré avec sauce tomates/jalapeño et beurre blanc. S'ensuit une poitrine de porc avec un kimchi acidulé de pommes et coriandre.
Il est finalement temps d'aller au lit, je m'allonge et savoure le calme ambiant. Je regarde par la fenêtre ouverte le ciel sombre de la nuit berlinoise et pense aux nombreux destins des personnes qui ont pu passer par ici au cours du siècle dernier. Tout de même, quel fascinant travail que celui accompli par le couple Grüntuch Ernst, qui s'est approprié ce projet avec brio. C'est 10 ans de rénovation minutieuse réalisée avec énormément de soin et tout autant d'engagement, pour donner à ce lieu une nouvelle vie bien méritée.
Chambres à partir de 189 €/nuit. Réservez le Wilmina Hôtel sur le Guide MICHELIN.
Photo de Une : La cour et le jardin de l'hôtel Wilmina © Wilmina