Reportages 2 minutes 31 juillet 2020

Le potager maison, nouveau graal du cuisinier ?

Depuis quelques années, une tendance se confirme dans la restauration : le potager de chef, censé fournir légumes, fruits ou herbes fraîches toute l’année. Alors demain, les chefs, tous maraîchers ? Pas si simple ! Beaucoup d'entre eux préfèrent soigner leur relation avec les producteurs qui les entourent.

Annie Bertin, Joël Thiébaut, Sylvain Erhardt ou Asafumi Yamashita, dit "l’orfèvre des potagers" : vous avez forcément entendu parler de ces producteurs ou maraîchers, dont les chefs convoitent le nom – aussitôt ajouté à la carte –, synonyme de goût et de qualité. En sera-t-il de même dans dix ans ? La question se pose. Depuis quelques années, il semble que tout chef qui se respecte se doive aussi de faire pousser ses propres légumes. Soucieux de développement durable, fervents partisans du locavorisme, ils sont en effet de plus en plus nombreux à rêver d’autarcie. Pour beaucoup, l’expérience du confinement a confirmé cette nécessité. Ne dépendre de personne, si ce n’est de la nature et des saisons. Pour d’autres, au contraire, rien ne saurait remplacer la relation avec les producteurs.

Le maraîcher Vincent Guyot en compagnie du chef Christian Têtedoie. ©Véronique Vedrenne
Le maraîcher Vincent Guyot en compagnie du chef Christian Têtedoie. ©Véronique Vedrenne

"Cultivons notre jardin", écrivait déjà Voltaire en 1759 dans Candide, ce manifeste écologique avant la lettre. Le grand aîné s’appelle Alain Passard (Arpège, à Paris), riche de ses potagers dans la Sarthe et l’Eure, et qui depuis longtemps professe que "le plus beau livre de cuisine a été écrit par la nature". À Noirmoutier, Alexandre Couillon commence sa journée en arpentant les 3500 mètres carrés consacrés à ses cultures, situées à une poignée de kilomètres de son restaurant, La Marine. Les potagers des deux chefs suffisent à alimenter leurs restaurants en produits frais, et surtout "racontent une histoire".

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C’est aussi désormais le rêve avoué de Christian Têtedoie, à la tête d’un potager urbain à côté du restaurant, qui produits fruits, légumes, herbes, courgettes, poivrons, aubergines… et un autre à Collonges-au-Mont-d’or, "un joli hommage à Monsieur Paul". Là-bas, le chef lyonnais replante des variétés de graines anciennes, qui ont disparu du territoire Rhône-Alpin. "Nous essayons de les réadapter aux changements climatiques. J’ai réintroduit le piment de la Bresse, présent dans mon plat fétiche, le homard tête de veau. C’est un projet long, complexe, passionnant. Il faut par exemple programmer les semences en décalage. Pour l’instant, je suis à 60% d’autonomie, et la récolte de mon potager n’arrive qu’en complément de ma quinzaine de producteurs. J’espère être à 100% d’ici cinq ans."

Le chef Alexandre Couillon dans son potager. ©G.Battistella/Michelin
Le chef Alexandre Couillon dans son potager. ©G.Battistella/Michelin

Alors, autonome à 100%, nouveau paradigme du chef de demain ? Xavier Beaudiment n'est pas tout à fait de cette avis. Le chef du Pré - Xavier Beaudiment, à Clermont-Ferrand, professe une approche mixte de l'approvisionnement : "Pour moi, l'échange avec les producteurs est indispensable. Se dire 'nous, on sait bien faire, les autres ne savent pas', ce n'est pas intéressant. On croit en la biodiversité et en l’échange. L'exception, c'est le jardin d'herbes : impossible de demander à quelqu'un de le faire pour nous. Ma femme est en train de se former là-dessus, on fait ça en famille." Même son de toque du côté de Veyrier-du-Lac, chez Yoann Conte : "Le pain du chef, c’est très bon, mais il ne sera jamais aussi bon qu’un pain de boulanger ! Chacun doit continuer à exceller dans sa spécialité. Un chirurgien n’est pas médecin anesthésiste. Sans compter que les petits producteurs comptent aussi sur nous pour vivre. Je me vois mal demain jouer à l’apiculteur pour pouvoir dire à mes clients que je produis mon propre miel."

©Westend61/hemis.fr
©Westend61/hemis.fr

Mais peut-être oublie-t-on ici la dimension charnelle et symbolique de ce retour à la terre, l’enracinement dans un terroir, cette autre mesure du temps qui passe. "Je m’occupe de mon potager parce qu’il m’apaise", avoue Alexandre Couillon. "Pendant le confinement, ne pouvant écouler mes légumes, je conservais mes artichauts dans de l’huile d’olive, avec des aromates, dans des bocaux, à la façon italienne. Les asperges blanches, on les mettait dans la saumure, comme nos grands-parents. La nature nous rappelle aux saisons et aux générations. Tous les chefs devraient avoir un jardin à cultiver". Entre potager maison et réseau de producteurs, à chacun de trouver son juste équilibre...


Illustration de l'article : ©GMVozd/iStock

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