Restaurants 3 minutes 19 avril 2024

Où boire des cépages oubliés en France ?

Depuis une décennie, portés par la mode des vins dits "naturels", et sur fond de réchauffement climatique, des dizaines de cépages oubliés reviennent sur le devant de la scène. Replantées par une nouvelle génération de vignerons, ces variétés de raisin rares ou méconnues du grand public intéressent aujourd'hui chefs et sommeliers. Du bistrot au trois étoiles, tour de France des meilleurs établissements du Guide MICHELIN... Où déguster ces pépites rarement bues !

Ils ont de drôles de noms : len de lel, persan, melon à queue rouge... Et s'invitent depuis peu sur les cartes des restaurants et cavistes. Un peu comme pour les légumes oubliés (topinambours, panais, cardon...), ces cépages redécouverts tardivement constituent une biodiversité précieuse. Replantées par une poignée d'irréductibles vignerons-archéologues, ces variétés de raisin très anciennes sont souvent qualifiées d' « endémiques ». Traduire, elles préexistaient à d'autres cépages plus connus, sur un même territoire. 

Mais alors, pourquoi on les a oubliés, ces cépages ?
Leur histoire est souvent la même : ils ont été abandonnés suite à la crise du phylloxera, cet insecte ravageur venu des Etats-Unis qui a détruit au 19ème siècle l'intégralité des vignobles européens. On les a oubliés, car ils étaient difficiles à travailler, fragiles, sensibles aux maladies et/ou présentant de faibles rendements viticoles.

Quand les vignerons de l'époque ont voulu replanter, ils ont préféré se tourner vers des cépages plus productifs. Pourtant, ces cépages oubliés se révèlent particulièrement adaptés aujourd'hui à certains terroirs. 


Une diversité de goûts incroyable

En bouche, quel goût ! C'est tout un nouvel univers organoleptique qui se déploie. Il n'y a pas que le pinot noir, le malbec ou le chardonnay dans la vie ! Saviez-vous que les 3/4 de notre production de vin français proviennent d'une dizaine de cépages seulement ? Alors qu'on en cultive plus de 200 dans l'Hexagone. 

La cuvée "Terroirists" du Domaine de Plageolles © Vincent Baldensperger
La cuvée "Terroirists" du Domaine de Plageolles © Vincent Baldensperger

La Table du Square (Beaune)

A la tête de ce Bib gourmand ? Romain Escoffier (un nom prédestiné !) Ses parents, également restaurateurs à Beaune, avaient lancé le restaurant Ma Cuisine, prix de la plus belle carte des vins bistrot de France en 2005. 

« A la Table du Square, nous avons 1 200 références de vin, dont une trentaine de cépages oubliés. Nous travaillons avec les différents Mauzac de chez Plageoles, du côté de Gaillac, également avec sa cuvée Braucol, cépage autochtone du Gaillacois ».

Mais aussi ? « La Cuvée Grands B du domaine de la Colombière à Fronton, sublimant le cépage bouysselet, un descendant du savagnin ! » Et encore ? « La cuvée Oeillade de chez AMI. L’oeillade noire est un cépage noir, originaire du Languedoc rhodanien. Cette variété, souvent confondue avec le cinsault, a été pour la première fois citée au 17eme siècle. »

Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic
Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic

A La Table du Square, on s'aventure même hors de l'Hexagone : « On a la cuvée BS du Domaine Partida Creus, en Catalogne sud : une cuvée blanc de noirs faite à 100% à partir de sumoll. Ou leur cuvée GT, réalisée entièrement à base de Garrut, cépage catalan apparenté au mourvèdre, également appelé monastrell. »

Vous l'aurez compris : il n'y a pas que du Bourgogne chez eux. D'ailleurs, ces passionnés de vin ont également une épicerie-caviste : Escoffier, L’arrière-Boutique, au 3 Place Carnot à Beaune. « Une belle sélection de vins, avec plus de 1500 références pour tous les styles, toutes les bourses... Et de super salaisons de France pour accompagner tout cela à l’apéritif ! » conclut non sans malice le chef Romain Escoffier.

Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic
Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic

Vigne en Foule (Gaillac)

Récompensé par un Bib gourmand en 2023, ce bar-restaurant canaille en diable propose depuis 2009 une belle cuisine de bistrot revisitée, et quelques plats viandards à partager (cochon de lait, côte de veau…) Mais surtout : près de 300 références de vin en cave ! Dont quantité d'anciens cépages oubliés côté Gaillac et sud-ouest bien sûr.

La sympathique Marlène Charbonneau, qui fut pendant cinq ans à la tête de la cave Mademoiselle Carafe, rue des Frères Delga, à quelques pas de là, est depuis fin 2023 la nouvelle sommelière. A sa carte, 100% nature ou bio ? L'incontournable Domaine Plageoles, et cette cuvée Prunelart 2018, faisant redécouvrir le prunelard, cépage rouge ancien, souvent confondu avec le malbec... Lequel se trouve être son descendant (36 €). 

Ou le magnifique Ribeyrenc 2020 de Thierry Navarre (31,50 €), un des meilleurs vignerons du Languedoc, autre amoureux des vieux cépages du patrimoine local. Cultivé sur les schistes de Roquebrun, il délivre des notes de poivre, tout en longueur et sapidité. 

Côté blancs, citons la cuvée Hexoguri du Domaine Arretxea, vin basque droit dans ses espadrilles, à base de gros et petit manseng, ainsi que petit courbu. Ou, plus près, la cuvée Loin de l'œil 2019 du Château Mayragues (23 €), 100% issue de ce fameux cépage loin de l'œil ou len de l'el, courant dans le Gaillac mais inconnu en-dehors.

Vigne en Foule © Stéphane Medina / infinitygraphic
Vigne en Foule © Stéphane Medina / infinitygraphic
Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic
Vigne en Foule, Gaillac © Stéphane Medina / infinitygraphic

Villa Madie (Cassis)

Pour David Piquet, Chef sommelier de la Villa Madie (3 Etoiles magistralement ancré face à la baie de Cassis), ces cépages oubliés sont revenus sur le devant de la scène « en même temps qu'est apparue la mouvance des vins naturels dans les années 2000. Mais on en parle vraiment fort depuis cinq ou sept ans.»

Dans la cave de la Villa, fruit d'une sélection personnelle, que des cuvées produites « dans le respect de l'homme et des sols », « en biodynamie ou nature ». « J'ai actuellement 1 850 références de vin, et entre une cinquantaine et cent cuvées mettant à l'honneur des cépages oubliés ou moins bus partout » confie-t-il. « Je vais énormément dans le vignoble. Certains vignerons ne produisent que 300 bouteilles de tel cépage oublié ! » s'enthousiasme-t-il.

La terrasse avec vue panoramique de la Villa Madie, 3 Etoiles à Cassis © Evan de Sousa
La terrasse avec vue panoramique de la Villa Madie, 3 Etoiles à Cassis © Evan de Sousa

« En Corse, il y a beaucoup de cépages oubliés » rappelle-t-il. A l'instar de la cuvée Empire du Domaine Abbatucci, « une rareté issue du cépage barbarossa, cultivé en biodynamie sur un terroir granitique ». Un vin effervescent aux bulles fines et pétillantes, tout en fraîcheur et subtils arômes d’agrumes et pomme. La bouche vive déroule une jolie minéralité avec une finale salivante.

Avec le plat signature du chef Dimitri Droisneau (« Lou Carambou », sublimant la crevette Carabineros de Méditerranée, ou gambon écarlate) ? Rien de tel en été qu'un rosé de Bellet, ce vignoble de poche juste au-dessus de Nice. « La cuvée Clos Rosé du Clos Saint-Vincent a la particularité d'être produite à base de cépage braquet, qu'on ne trouve qu'à Bellet » explique le jeune homme. 

Coïncidence ? Jonathan, le vigneron voisin du Clos Saint-Magdeleine, dont on aperçoit les vignes depuis la terrasse du restaurant, a récemment planté une parcelle du terret blanc, vieux cépage autochtone du vignoble languedocien. A bon entendeur...

David Piquet, le Chef sommelier de Villa Madie, à Casssis © Villa Madie
David Piquet, le Chef sommelier de Villa Madie, à Casssis © Villa Madie

Photo de Une : © Maja Petric / Unsplash

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