Disparu des cartes des restaurants au début des années 2000, ce plat automnal (et délicieusement rétro) revient à la mode, plébiscité notamment par la génération des 35-45 ans. La preuve avec cet ouvrage tout nouveau tout chaud, intitulé Le lièvre à la Royale : petite histoire d'un grand plat, de Gérard Allemandou et Philippe Berthet-Bondet, paru aux éditions Menu fretin le 8 octobre dernier.
Autre signe que qui ne trompe pas : depuis 2016, le chef Thomas Boullault, à la tête de L’Arôme, à Paris, orchestre le très sérieux Championnat du Monde du Lièvre à la Royale, à Romorantin-Lanthenay, berceau de la Sologne. Un concours réservé aux chefs professionnels, dont la 7ème édition a eu lieu le 26 octobre dernier. Très attendu, l'évènement rassemble des toques venues de France, mais aussi du Japon et Canada. D'accord, me direz-vous. Mais qu'est-ce que le lièvre à la royale ? Comment le cuisine-t-on ? Qui l'a inventé, et quand ?
Antonin Carême...
Celle attribuée à Carême, c'est celle que l'on voit le plus : cette fameuse tranche de viande farcie, souvent photographiée du dessus, largement arrosée d'une sauce noire. C'est la recette la plus technique et difficile à exécuter. L'animal entier est intégralement désossé (à cru), la viande roulée et cuite au bouillon jusqu’à trente heures, à feu très doux. On va ensuite la farcir avec force abats et foie gras, truffe, oignons, épices, puis la détailler en tranches.
... Ou Sénateur Couteaux ?
La seconde recette, façon « Sénateur Couteaux » est plus rustique. La viande est également désossée, mais confite « à la périgourdine » pendant des heures, avec gousses d'ail, purée d'échalotes et vin rouge, jusqu’à obtention d’une sorte de compotée. C'est cette recette que Paul Bocuse et Joël Robuchon mettront à l'honneur près d'un siècle plus tard.
Jeanne Savarin, rédactrice en cheffe de Cuisine des familles (« recueil hebdomadaire de recettes d'actualité »), rapporte que le 29 novembre 1898, le sieur Couteaux « sénateur de la Vienne, éminent agronome et brillant écrivain », est congratulé par ses collègues pour une recette qu'il a fait paraître la veille dans le journal Le Temps. « La recette dont il s’agissait était celle du Lièvre à la Royale, et Monsieur Couteaux en était l’auteur » écrit-elle. En 1899, dans sa gazette, la même Jeanne livre une recette assez précise de notre lièvre, allant même jusqu'à détailler le sexe et l’âge de l’animal ! Dans celle-ci, la viande n’est ni roulée, ni farcie au foie gras, ni truffée, ni découpée en tranches... Mais bien servie très confite et effilochée.
Mythes et légendes à rectifier
Carême, inventeur du lièvre à la royale ? Faux ! s'insurgent ainsi plusieurs historiens contemporains de la cuisine française, à l'instar de Patrick Rambourg. Le « roi des chefs et chef des rois » (comme on le surnommait) n'aurait jamais été l'auteur d'une quelconque recette de lièvre à la royale... Pour la simple et bonne raison qu'il est mort dans la première moitié du 19ème siècle. Or, historiquement, on ne commence à évoquer cette recette qu'à partir de la fin du 19ème siècle.
Faux aussi, ce mythe qui raconte que le plat aurait été inventé pour le Roi-Soleil, amateur de gibier qui souffrait de graves maux de dents. Si Louis XIV avait bien une dentition qui laissait à désirer, selon toute logique, il ne pouvait guère mastiquer qu'une chair effilochée, rendue fondante suite à une cuisson lente et longue... Comme dans la version d'Aristide Couteaux ! Impossible pourtant, Louis XIV étant mort en 1715, et la recette du sénateur n'ayant été publiée qu'en 1898.
Henri Babinsky alias Ali-Bab
Et si, au lieu de parler de lièvre à Carême, on parlait de lièvre à la Ali-Bab ? Car c'est finalement Henri Babinsky, bec fin et grand voyageur (fondateur de l'Académie des Gastronomes en 1928), qui fournira le premier, au tout début du 20ème siècle, la recette de ce lièvre roulé et farci telle qu'on la connaît aujourd'hui. Cet ingénieur des mines Français est célèbre pour avoir publié en 1907 (sous le pseudonyme d'Ali-Bab), une célèbre Gastronomie pratique. Le principe ? Le lièvre est désossé à cru, farci et cuit en ballotine, au vin. Le foie gras et la truffe sont les éléments de base de sa farce, et la sauce est liée avec le sang de l’animal. Alain Senderens et Guy Martin se reconnaîtront dans cette Ecole Ali-Bab.
Le Larousse Gastronomique mentionne bien en 1901, six ans avant Babinsky, une recette similaire. Problème : celle-ci n’est pas citée par Auguste Escoffier dans son incontournable Guide Culinaire, également paru en 1901. Le maître mentionne bien un plat de lièvre, mais farci à la Périgourdine, sans foie gras et avec une sauce au vin blanc (et non rouge). Alors, que croire ? Peut-être que la beauté de ce plat réside dans le mystère de ses origines...
Découvrez ci-dessous notre enquête minutieuse pour réunir ici, pour vous, le best of France du lièvre à la royale ! A partir de 45 €/personne.
PARIS / ILE-DE-FRANCE
Lucas Carton
Le chef Hugo Bourny relance son lièvre à la royale, suivant la recette classique. Il sera disponible au restaurant à partir du mardi 5 novembre. A la carte, au tarif de 130€ / plat. Sachant qu'il sera possible de l’avoir dans les menus en 4, 5 ou 7 services, moyennant un supplément de 40 €. Sur réservation dans la limite des préparations disponibles
L'Ami Jean
En saison, Stéphane Jégo propose à la carte un lièvre à la royale façon Sénateur Couteaux (45 €)
Benoit Paris
Dès le 15 octobre, la cheffe Kelly Jolivet et ses équipes font revivre l'adage légendaire de ce bistrot parisien auréolé d'une Etoile : « Chez toi, Benoît, on boit, festoie en rois ». A la carte ? Un lièvre à la royale, « désossé délicatement, et ensuite garni d’une farce réalisée avec les cuisses du lièvre, de la truffe, du foie gras et du lard de Colonata.» La sauce ? Un « jus de lièvre, qu'on lie avec les abats de ce dernier, son sang et du foie gras. Pour sa brillance, on ajoute un peu de miroir de vin rouge. »
Origines Restaurant
Dans un cadre contemporain, le chef aveyronnais Julien Boscus met à la carte, moyennant 74 € un lièvre de Beauce en deux services - le nec plus ultra ! Conciliant les deux recettes, celle de Carême et celle du Sénateur Couteaux. Soit un râble lardé cuit à la goutte de sang, dans une feuille de chou gratinée à la poudre d’amande et betterave rouge en aigre doux. Et façon Royale, servi avec une fine purée de légumes racines.
L'Arôme
Fondateur depuis 2016 du Championnat du Monde du Lièvre à la Royale, le chef Thomas Boullault rend hommage à sa Sologne natale ! Dans son menu dîner Arôme à 140 € (hors boisson), il vous suggère (moyennant supplément de 39 €) un lièvre à la royale façon Antonin Carême, avec « raviole de cèpes et carbonara au parfum de truffe blanche ».
Le Gabriel - La Réserve Paris
Dans ce magnifique Trois Etoiles, Jérôme Banctel propose un menu Chasse en dix temps à 378 €/personne... Mettant à l'honneur un lièvre de Beauce à la royale, avec spätzle au sarrasin. Réservation, il va sans dire, indispensable.Pavyllon
Le comptoir gastronomique Une Etoile de Yannick Alléno propose à la carte un intrigant « lièvre à la royale en cabessal, façon Ali Bab » (75 €) Soit flanqué d'une farce de foie gras, accompagné de sauce au lièvre, d’extraction de genièvre, whisky tourbé et chocolat.Alliance
Le chef Japonais Toshitaka Omiya est un autre fervent défenseur de la recette façon Ali-Bab ! « Dès cette semaine, et jusqu’à mi-décembre, le lièvre à la royale façon Henri Babinsky est disponible dans tous nos menus dégustation à la demande du client (sans supplément). »Rooster
Frédéric Duca, qui a son rond de serviette au fameux Championnat du monde du lièvre à la royale (voir article introductif) a dégainé il y a une semaine son lièvre à la royale. Façon Antonin Carême, il sera à la carte jusqu’à fin novembre/début décembre moyennant 68 € le plat.
Elmer
Comme l'immense majorité des chefs, Simon Horwitz s'est inspiré pour son lièvre à la royale de la recette d’Antonin Carême, ajoutant à la farce du lard de Colonnata, et à la sauce une touche de chocolat noir. Une pâte de coing (maison) et un gratin dauphinois à la crème de parmesan accompagnent la viande. En ce moment à la carte (58 €), et à priori au moins jusqu’a mi-novembre.
Bonnotte
A Boulogne, le restaurant des chefs Manon Negretti-Guichard et Antoine Guichard propose un lièvre à la royale façon Antonin Carême, à la carte (52 €), de mi-octobre à début décembre. Leur sous-chef Alexandre Chambat a été finaliste du championnat du monde l’année dernière et travaille avec la cheffe « uniquement des lièvres de Beauce. »CENTRE-VAL DE LOIRE
Le Georges
Au sein du restaurant étoilé du Grand Monarque à Chartres, le lièvre à la royale est en suggestion à la carte à 65 €. A la brasserie La Cour, le chef Thomas Parnaud propose une version Sénateur Couteaux (20 €, à la carte) : préparation en civet, cuite à l'étouffée avec de l'ail et des échalotes puis effiloché dans une sauce au vin rouge liée au sang. Les deux sont disponibles dès maintenant et jusqu’au 1er janvier.Amour Blanc
Un lièvre de Beauce façon Sénateur Couteaux en ravioles croustillantes, sauce au beurre de foie gras est disponible en plat à la carte à 45 €.Christophe Hay - Fleur de Loire
L'animal aux longues oreilles est proposé dans le menu Retour de Chasse, en cinq services, à 168 € hors boissons, 288 € avec accord mets et vins (disponible jusqu’à la fin de l’année).
Osma
Valentin Barbera, jeune chef bien dans son époque, ose une version originale, sans le foie (qui peut être clivant et lourd). La bête est panée dans de la chapelure de pain de mie, servie avec un condiment courge butternut / vinaigre de cidre / piment végétarien... Et en plus du jus classique avec la marinade au sang, s'accompagne d'une purée d’ail noir. Du 25 octobre au 1er janvier 2024 , dans un menu en trois séquences à 69 € ou en 5 séquences à 95 €.
NOUVELLE-AQUITAINE
Ithurria
Au Pays basque aussi, on cuisine du lièvre à la royal dans les règles de l'art ! Ici façon Antonin Carême, dans une carte Chasse il est proposé à 56 € depuis la mi-octobre et jusqu’au 11 novembre (date de fermeture de l'établissement pour congés annuels). Le lièvre est servi avec un crémeux de pomme de terre truffée et une tuile soufflé au cèpes et cacao, garnie d’un condiment céleri aigre doux et d’une fine salade de pousses de notre potager.
GRAND EST
L'Assiette champenoise
A Reims, le chef Arnaud Lallement propose à sa carte un lièvre à la royale avec navet boule de M. Guillot, nappé de sauce royale (125 €)La Table d’Olivier Nasti
Ambassadeur, à Kaysersberg, de l’Alsace sauvage, le chef Olivier Nasti est président du jury du championnat du monde 2024 de lièvre à la royale. Et réaffirme sa passion de la chasse raisonnée et de la cuisine du gibier dans un très beau livre, Olivier Nasti, chef chasseur, à paraître le 20 novembre prochain chez Glénat. C'est donc tout naturellement qu'il propose au sein de son deux Etoiles, dans son menu « Le chasseur » en sept temps (345 €), un plat reprenant la recette de Julien Lucas (Champion du Monde du lièvre à la Royale 2022). Egalement à la carte, un lièvre à la royale présenté en trois services (130 €) : filet de lièvre de la Beauce cuit rosé au jus de céleri; tranche de lièvre de la Beauce « A la Royale »; épaule de lièvre de la Beauce « Sénateur Couteaux »... Magistral. A l'occasion de la 2ème édition du Festival de la Chasse créé par cette toque émérite, du 15 octobre au 17 novembre 2024.La Nouvelle Auberge
Actuellement fermé pour congés, l'établissement ancré à l'entrée de la vallée de Munster, rouvre le 8 novembre prochain. Avis aux amateurs : la carte affiche un lièvre à la royale à 52 €. Sachant qu'il est également possible de choisir ce plat dans le Menu Gourmand à 110 €.AUVERGNE-RHÔNE-ALPES
Paul Bocuse
A Collonges-au-Mont-d’Or, le mythique Deux Etoiles met à sa carte, jusqu'à fin décembre, un lièvre à la royale façon Antonin Carême (94 €).Lavandin- Château Les Oliviers de Salettes
Pour ne pas faire mariner les convives et leur permettre de juger d'eux-mêmes quelle méthode est la plus savoureuse, dans la Drôme provençale, les chefs Kevin Vaubourg et Lucille Routin présentent le plat en deux services. La façon Carême sera la pièce de résistance et la façon sénateur Couteaux fait office de satellite, « dans une cassolette avec l’effiloché, peut-être du daikon et du navet en pickles… » détaille Lucille Routin. Le binôme veut aussi « perpétuer ces plats emblématiques de la cuisine française qui se perdent, sans pour autant s'endormir dessus ». Au déjeuner les samedis et dimanches (de midi à 14h30), et au dîner du mercredi au samedi (19h-21h30). Menus en six ou huit services, 80 et 110€. Le lièvre à la royale est présent dans le menu en huit services, en remplacement d’un plat et pour un supplément de 19 €.
NORD
Le Restaurant du Cerisier
A Lille, le chef Elie Beghin, qui officie aux côtés de Mathieu Boutroy, venait juste de recevoir ses lièvres au moment où nous bouclons ces lignes. Du 13 novembre et jusque fin décembre, il compte suivre la recette façon Antonin Carême, qu'il a présentée il y a deux ans au championnat du monde. « Elle s'inspire des recettes que j’ai travaillé chez Christian Constant et au Grand Restaurant de Jean-François Piège », nous explique-t-il. Compter + 30 € de supplément sur les menus déjà existants (qui sont à 59 €, 119 € et 159 €). A noter qu'en-dehors du restaurant étoilé, le lièvre à la royale sera également disponible à Lens, au sein de son bistrot L’Atelier du Cerisier (à la carte, 54 €).
Photo de Une : Le lièvre à la royale du Lucas Carton, à Paris © Le Photographe du Dimanche