Nous avons échangé quelques mots avec lui sur l’offre œnologique de Rome.
L’art du bien boire à La Pergola
Vous êtes chef sommelier à La Pergola, le restaurant le plus important de Rome depuis trois décennies. Depuis votre observatoire privilégié, que pouvez-vous dire de l’évolution des goûts des clients depuis les années 1990 ?
Le goût est un sens personnel très fort qui doit être respecté en tant que tel. Dans mon travail de sommelier, je suis particulièrement attentif aux préférences de chaque client. Je pense qu’une proposition de vin est vraiment utile lorsqu’elle est « complète », c’est-à-dire lorsqu’elle comprend une représentation de tous les types de vins que le marché peut offrir. Les blancs, les rouges, les moelleux, les pétillants, mais aussi les classiques, les modernes et ceux qu’on appelle les naturels devraient toujours être présents. Il est de ma responsabilité de sélectionner et de proposer ce qu’il y a de mieux en termes de qualité pour chacun des types mentionnés.
Cela dit, le bilan des 30 dernières années permet de dégager des informations pertinentes, qui dessinent les grandes lignes du goût d’aujourd’hui. Ainsi, mes choix, et ceux d’une grande partie de ma clientèle, s’orientent de plus en plus vers des vins équilibrés, faciles à boire même lorsqu’ils sont ambitieux, et respectueux d’un régime alimentaire plus moderne en ce qui concerne les calories et la structure générale. Les producteurs « écoutent » la tendance et allègent souvent leurs vins, en recherchant les arômes de fruit ou en essayant de mettre l’accent sur des caractéristiques telles que la fraîcheur et la saveur, qui stimulent le palais et accompagnent l’expérience gastronomique.
Quel est le type de vin le plus populaire parmi les clients de La Pergola ?
Passionnés et pleins d’attentes, nos hôtes sont constamment à la recherche de l’excellence et sont ouverts à la nouveauté et à l’expérimentation… Dans ce contexte, il est intéressant de constater que le nombre de clients qui s’en remettent aux conseils du sommelier est en augmentation. Je peux vous assurer que cela n’a pas toujours été le cas ! C’est donc une fierté, sachant qu’il y a de toute façon très peu de sommeliers qui exercent leur fonction à 360° dans la restauration d’aujourd’hui. Je dirais que le vin préféré des clients de La Pergola est probablement celui qui parvient à les « surprendre », et je ressens le poids de cette responsabilité.
Certains de nos clients, en revanche, savent exactement ce qu’ils veulent boire et n’ont pas besoin de mes conseils. Ils commandent fréquemment de vieux millésimes de Barolo ou de Bordeaux, des blancs introuvables comme le Montrachet Grand Cru, ou les premiers millésimes commercialisés du Sassicaia de Tenuta San Guido. C’est toujours un moment émouvant pour moi.Quel est le vin le plus rare que vous ayez servi en salle ?
À cet égard, j’estime avoir beaucoup de chance, et je n’aime pas utiliser les grands mots. À La Pergola, j’ai débouché quelques-uns des plus grands crus au monde, avec un sentiment d’honneur et de grand respect pour ceux qui les ont produits. Je me souviens avec émotion d’un Château Lafite Rothschild 1900, d’un Château d’Yquem 1893, d’un Barolo Borgogno 1947, d’un Brunello di Montalcino Riserva 1955 de Biondi Santi. Cependant, l’expérience unique (et non reproductible...) qui m’a laissé un souvenir indélébile d’émotions et d’expérience gustative a été un Romanée-Conti Monopole de 1917.
Ces dernières années, l’accord mets et vins semble être devenu encore plus important que la qualité intrinsèque d’une bouteille, ce qui implique un bel exercice de mise en valeur des recettes du chef Heinz Beck.
Le chef Heinz Beck a toujours encouragé la coopération entre nous. Il me fait continuellement goûter de nouvelles recettes, tandis que je lui soumets des échantillons des vins que je juge les plus intéressants. En trente ans d’expérimentation continue, nous pouvons dire que nous avons développé notre propre méthode. Nous aimons rehausser les plats et mettre en valeur le produit brut. Nous n’aimons pas surcharger l’extrême élégance de certains vins rares avec des aliments.
Nous veillons à ce que les combinaisons obtenues n’affectent pas l’équilibre digestif du client. Ceci, bien sûr, sans imposer quoi que ce soit, en respectant les goûts et les choix personnels. L’expérience du restaurant par le client ne doit jamais être réduite à un exercice didactique ennuyeux, mais doit être pure émotion et bien-être.L’Accord mets-vins
Face à la tendance intelligente qui consiste à manger et à boire local, qu’est-ce que la viticulture de la région du Latium a de bon à offrir ?
Le Latium vit un moment de grande effervescence, avec des producteurs de nouvelle génération qui s’engagent à exalter les variétés autochtones se prêtant bien au modèle rustique et naturel. Macération pelliculaire, fermentation spontanée, vinification en cuves de béton sont des pratiques de plus en plus utilisées pour extraire la minéralité de nos sols volcaniques et méditerranéens. Le Bombino, parmi les raisins blancs, mais aussi le Malvasia ou le Cesanese, parmi les raisins rouges, reviennent sur le devant de la scène dans des versions plus contemporaines et plus faciles à boire. Ils remportent d’ailleurs de plus en plus l’adhésion des passionnés et des jeunes.
Quels vins du Latium, selon vous, s’accordent le mieux avec certaines des recettes les plus célèbres de la cuisine romaine.
Spaghetti à la carbonara : Ribelà Bianco, Cantine Ribelà. Raisins Malvasia, Trebbiano et Bombino de la région des Castelli Romani. Franc, frais et minéral, une combinaison très agréable pour la carbonara.
Bucatini à l’amatriciana : Alea Viva, Andrea Occhipinti. Un cépage aleatico de la région de Gradoli (Viterbo) dans une version « sèche », à partir de raisins macérés et de fermentation spontanée. Il est affiné dans des cuves en acier et béton et conserve beaucoup de jus et de fraîcheur. À servir à une température de 15°C, parfaite pour équilibrer les lipides aromatiques de l’amatriciana.
Queue de bœuf à la vaccinara : Cabernet Franc Habemus, San Giovenale. Un rouge puissant et épicé de la région de Blera, Viterbo. Dense, fruité et structuré, il accompagne parfaitement la complexité de la sauce à la vaccinara.
Abbacchio a scottadito : Cesanese del Piglio Mozzatta, La Visciola. Un vin de territoire, corsé mais fruité, avec des tanins élégants. Servi à la température de la cave, c’est un plaisir de le boire avec des côtes d’agneau qui viennent d’être saisies.
Saltimbocca alla romana: Fieno di Ponza Rosso, Antiche Cantine Migliaccio. Un rouge provenant de magnifique île de Ponza. Le tanin docile, le corps équilibré et les arômes marins et de maquis méditerranéen imprègnent et rehaussent la succulence des saltimbocca alla romana.
Tarte à la ricotta et aux griottes : Aleatico Passito Cristino, La Piana. Pour déguster ce beau mélange, je propose une excursion en bateau de la côte du Latium à l’île de Capraia en Toscane. Douceur, minéralité, fruit sublime et buvabilité à durée indéterminée pour savourer jusqu’à la dernière miette de pâte brisée de notre tarte à la ricotta et aux griottes.
Temps libre
Et qu’aimez-vous boire une fois votre travail terminé ?
Les journées peuvent être très longues et épuisantes. On finit très tard et souvent épuisé. Quand le dimanche arrive, je m’offre un peu de détente. J’aime la campagne et la chaleur d’un repas de famille : là-bas, le vin est presque toujours le même, un délicieux Montepulciano de l’agriculteur qui possède les terres à côté de chez moi, juste au nord de Rome. C’est un vin rassurant qui se boit avec plaisir, même avec sa structure toute simple.
Parfois, cependant, je n’arrive pas à me lever tôt pour une balade en plein air. Dans ce cas, le dimanche se passe dans l’oisiveté jusqu’au soir, lorsque je sors boire une bonne bouteille de Barolo ou de Chambolle-Musigny. J’aime les vins jeunes, puissants et en même temps faciles à boire.Et pour conclure notre conversation, quels sont les endroits les plus intéressants de Rome pour déguster un bon verre de vin ?
Les adresses sûres sont les établissements qui ont fait l’histoire du « bien boire » à Rome. Valeurs sûres : Il Goccetto à Via dei Banchi Vecchi, Roscioli Via dei Giubbonari et Al Vino Al Vino dans la Via dei Serpenti.